Promotion du progrès : Sociétés d’agriculture, comices agricoles, salons…

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«Le comice était un événement par la seule présence des élites. Le protocole cérémoniel mettait en valeur les notables locaux avec le relais offert par une presse toujours élogieuse à l’égard des personnalités présentes et des discours prononcés. Le comice était une occasion pour les notables d’asseoir et de prolonger leur pouvoir. Engagés dans leur mission de défense des intérêts de la paysannerie, les comices comme les associations agricoles permettaient aux notables de constituer les paysans en “ clientèle ” capable de les soutenir sur le plan politique. Si on peut qualifier le comice de manifestation populaire par son succès d’alors, elle était aussi organisée par les élites politiques au service de l’entretien et de la mise en scène de leur pouvoir.» (Carteron).

Sans titre 2 Le clientélisme se déploie dans toute sa force, notamment au XIXe siècle. «Dans sa  forme particulière aux bocages de l’Ouest, le clientèlisme renvoie à la relation de patronage qui unit le noble détenteur de la terre au paysan qui l’exploite en métayage ou en fermage. A ce rapport fondamentalement déséquilibré ne correspond pas une dépendance totale du paysan mais plutôt un rapport de dépendances partagées. En échange de trouver une terre à exploiter et d’autres avantages (aides matérielles, placement des enfants, responsabilités locales…), les notables obtenaient des paysans une soumission à l’ordre établi que scellait une adhésion commune au même système de valeurs cimenté par la religion. La dépendance était cependant réciproque puisque le maître dépendait de l’intelligence et du zèle que mettait le fermier à tenir l’exploitation et à rendre les services au château. La relation relevait finalement d’une confiance et d’arrangements réciproques dans une relation de personne à personne qui n’excluait pas les pressions de part et d’autres et la recherche de compromis par négociation . Sur le clientèlisme dans l’Ouest bocager, cf. Bucher (1995).» Il faudra attendre la montée de la Jeunesse Agricole Chrétienne (JAC) pour que ces rapports de dépendance se distendent : la JAC était réticente à participer aux comices et prônait une évolution de tout le milieu rural, plutôt qu’un effort de modernisation qui n’aurait porté que sur les formes et les outils de l’exploitation agricole. Sous les effets de la modernisation, de la diffusion du progrès, de l’instruction générale, le clientélisme traditionnel a reculé, se transformant et se déplaçant vers d’autres formes de dépendances, moins d’homme à homme, mais plus de producteur à marché.

comice agricole romorantin Les comices agricoles sont un rendez-vous attendu de la vie rurale. Mais s’ils aident à promouvoir le progrès, ils ont un effet pervers : culpabiliser le paysan qui ne réussit pas et qui, dès lors, se met en retrait, spectateur d’un monde moderne qu’il ne partage pas.

«Mais, dans l’ensemble, il n’y a que peu de place pour les plus petits. La même étude réalisée dix ans plus tard fait ressortir la même tendance, avec peut- être une augmentation sensible des moyens et petits propriétaires. Proposer ses produits ou ses animaux n’est pas donné à tout le monde. Comment espérer rivaliser contre les plus audacieux, lorsque le souci premier de beaucoup est encore de survivre ! En outre, si de petits propriétaires zélés d’Échourgnac ou des communes limitrophes s’autorisent le déplacement, les quelques primés des communes plus éloignées, sont systématiquement des notables ou des employés de ces derniers. Certes, les concours annuels proposent à partir des années 1880 des catégories permettant à de petits producteurs de se présenter (bovins, chevaux, porcins et ovins de races locales, volailles, légumes, etc.), mais ces primes sont le plus souvent attribuées aux métayers des notables précédemment évoqués, poussés et encouragés par leurs bailleurs. Il semble que la frontière soit encore nette, à la fin du siècle, entre ces représentants de l’agriculture et la masse de petits propriétaires peu concernés par ce type de manifestation, comme par les nouvelles méthodes agricoles.»

Corinne Marache, « Encourager plus que l’agriculture. Le rôle du comice central agricole de la Double dans le développement rural local », Ruralia [En ligne], 16/17 | 2005, mis en ligne le 01 juillet 2009, consulté le 13 novembre 2015. URL : http://ruralia.revues.org/1071

633_001 motte beuvron 1862«Cette logique de l’excellence avait un revers : elle créait une pression sociale qui séparait les agriculteurs en deux catégories : les bons éleveurs, agriculteurs intermédiaires entre la masse et l’élite, et les autres, le plus grand nombre, qui ne se présentaient pas aux concours faute de réunir les critères requis. Les concours entraînaient les exposants primés dans une spirale, chaque récompense autorisant à se présenter à des concours plus élevés. Le nombre d’exposants a eu ainsi tendance à se restreindre à un cercle d’habitués emportant chaque année les premiers prix. Acquis aux idées de progrès dans le cadre balisé par les notables, ces agriculteurs disposaient probablement de ressources (capacités individuelles, moyens économiques, soutien des propriétaires…) qui leur permettaient de s’extraire du lot commun. L’analyse des gagnants aux concours des comices de Tiercé et Châteauneuf montre que ce sont toujours les mêmes éleveurs qui reviennent d’année en année dans les premières places (cf. Janvrin, op. cit.).»

«A l’inverse, la masse des paysans ne concourait pas. Faute d’avoir une production correspondant aux critères attendus par le comice, la plupart des agriculteurs préférait l’autocensure. Le comice mettait en jeu l’amour propre et les craintes liées à l’échec dans un milieu d’interconnaissance : railleries, déshonneur, sanction publique. La compétition et ses corollaires : l’agressivité dans l’engagement ou au contraire les réactions de protection, participe d’un processus de distinction lié à la logique de l’excellence : faire une poignée d’élus en mettant sur la touche un grand nombre d’exclus. «(Carteron).

Elisabeth JANVRIN, Le comice : de l’agricole au rural, mémoire de maîtrise de sociologie, Université de Nantes, 1993.

Les prix

929_001 836_001 saint-etienne1879 551_001 169_001  006_001   Ils sont variés : cela peut être un diplôme : purement symbolique, il vaut par la remise en public des mains d’un officiel. Il est intéressant d’analyser le contenu de ces images : souvent l’iconographie est très traditionnelle avec des allégories du monde rural ; mais parfois, comme celui de Frontenay-Rohan-Rohan (le même à Chevillon), on voit le progrès et le machinisme apparaître : locomobile et batteuse (les deux formes les plus spectaculaires avant l’arrivée du tracteur).  Les allégories sont nombreuses dans les médailles qui sont frappées pour les concours. Dominent largement Cérès, la charrue la plus simple (et donc la plus symbolique).

Mais, comme pour les diplômes, pointent de temps à autre des machines. Le progrès arrive : des locomotives, des cheminées qui fument sans que l’on sache trop ce qui est en scène, sinon la modernité.

comice agricole diplome Les prix, c’est aussi de l’argent : regardons ces exemples (source : http://lahyonnais.blogspot.fr/2014_07_01_archive.html

Au Pays de Guémené-Penfao :

«René Heuzé habite au lieu-dit Cotidel, dans la commune qu’il administre. Il est le beau-frère de Fidèle Simon, maire de Guémené. On apprend ainsi au détour du compte-rendu du comice départemental de 1843 que « M. Heuzé est toujours primé dans les comices du canton ». Mais ce philanthrope « renonce à ses prix au profit de cultivateurs moins aisés ». Du coup, le comice départemental crée à son intention une médaille qui récompense à la fois son désintéressement et son talent agricole.

En 1842, lors du premier concours du comice de Guémené, les organisateurs sont contraints de n’accorder qu’une prime de 25 francs à la vache du curé.  Celui-ci est en effet la seule personne du canton (en dehors des grands propriétaires) à présenter une vache de grande taille de cette race qu’on veut encourager !   Trente ans plus tard, ces vaches auront quasiment supplanté la petite race bretonne pie noire…

D’autres prix sont en nature : par exemple, « un fort beau taureau, une araire et une faux, une araire de plus petit modèle avec une baratte mécanique propre à obtenir le beurre en quelque minutes ».

Les valets de ferme sont récompensés pour des raisons moins évidentes :  souvent en raison de leur fidélité à leur patron (on insiste sur leur ancienneté chez le même maître). Mais cela peut être pour leur implication dans l’amélioration de l’exploitation où ils sont affectés ; ou bien encore,  pour un autre valet – aide agricole à l’école de Grand Jouan – il est dit qu’on peut lui confier de l’argent pour acquérir des bestiaux. Les valets de fermes ont visiblement vocation à le rester : inutile de leur donner des prix sous forme de bestiaux ou d’outils agricoles dont, sans terre, ils n’auraient que faire. Ils reçoivent donc des objets de valeur (montres en or ou en argent, timbales en argent avec, gravés, leur nom et leur prénom) ou de l’argent.»

Pour d’autres concours (concours de charrues, de bestiaux) les prix sont des instruments agricoles (tarares, charrues de divers modèles, coupe-racines,… ) et des animaux de race.

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