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ENCADRÉS
La grande agriculture anglaise à la fin du XVIIIe siècle
L’avancement de l’agriculture demande que le gouvernement laisse au propriétaire la liberté de réunir ses terres en grandes fermes. s’il juge à propos. et aux fermiers celle de les louer. Il est des écrivains d’une opinion différente; ils conseillent au gouvernement de refuser une pareille liberté aux propriétaires et aux fermiers; ils soutiennent Que les grandes fermes sont nuisibles à la population, et font renchérir toutes les denrées. J’ai déjà fait sentir la fausseté de cette opinion; mais …. je crois devoir démontrer, par des faisons générales, la nécessité d’accorder une pleine liberté à cet égard …
Qu’un riche fermier, sur une ferme d’une grande étendue, puisse faire des améliorations bien supérieures à celles que pourrait entreprendre le tenancier d’une petite ferme, toutes proportions gardées, c’est un fait démontré par l’expérience. Il est hors de doute que le fermier riche a, sur une grande ferme, des avantages inappréciables. Au moyen d’excellents attelages, de grands et forts ateliers, toutes les opérations diverses qu’exige l’exploitation des terres s’exécuteront avec autant d’efficacité que de promptitude. On peut vérifier qu’il en est de même dans les manufactures : un entrepreneur, avec de grands fonds, portera toujours ses fabriques à un degré de supériorité que ne saurait atteindre le manufacturier pauvre. C’est sur les grandes fermes, exploitées par de riches fermiers, que l’on voit les plus nombreux troupeaux, les animaux de traits plus robustes, les meilleurs instruments, les plus riches engrais, et les améliorations qui supposent des tentatives hasardeuses; tous ces objets sont d’autant plus importants qu’ils forcent le sol à rendre les plus grands produits. Mais ce sont ces produits, plus considérables dans les grandes fermes que dans les petites, qui enrichissent le fermier, son propriétaire et la nation; cette augmentation de richesse nationale se répand dans toutes les classes; et, dès lors, l’industrie, ainsi que la culture des terres, entretient un plus grand nombre d’hommes …
YOUNG. A.. « Arithmétique politique •. in le cultivateur anglais »Œuvres choisies, trad. fran., Paris 1801. t. 18, pp. 303-J15.
Qu’est-ce que le progrès au tournant du XVIIIe-XIXe siècle ? Si on se reporte aux théories d’A. Young, c’est la liberté, le meilleur engrais que l’on puisse mettre sur les terres. C’est, plus concrètement, la privatisation des espaces communs, les biens communaux, en passant par la phase des enclos (enclosures, à la manière anglaise) pour rompre avec les disciplines communautaires.
Friches inutiles », « terres sans valeur », « cloaques immenses » infestés par les maladies, les mots ne manquent pas pour qualifier les espaces laissés aux usages collectifs. Souvent dénigrés, les communaux sont pourtant indispensables aux petits propriétaires et aux journaliers qui en tirent la nourriture pour leurs bestiaux et des engrais pour fertiliser leurs cultures. Ce paradoxe éclaire les enjeux politiques et sociaux liés aux terres communales à partir du milieu du XVIIIe siècle.
C’est lorsque naît la pensée libérale que les biens communaux se placent, en France comme dans le reste de l’Europe, au cœur d’un débat sur les progrès agricoles. Sous l’impulsion des physiocrates, ils deviennent des espaces convoités, à conquérir et à exploiter. En France, le paradigme convainc la monarchie et, autorisé, le partage des biens collectifs commence dans les années 1760. Insufflées par une idéologie triomphante et reflet de la prétention des seigneurs à recouvrer la possession de leurs terres, les entreprises contre les biens collectifs se multiplient et se heurtent aux sensibilités des villageois qui en revendiquent la possession. Parallèlement à celui de la modernisation agricole, le partage pose en effet la question de la propriété et de la définition du statut juridique des communaux. Ainsi, la confusion entre droits d’usage et propriété collective entraîne fréquemment des conflits pour la possession et l’utilisation de ces espaces.»
Scuiller Sklaerenn, « Propriété et usages collectifs. L’exemple des marais de Redon au XVIIIe siècle», Histoire & Sociétés Rurales 1/2008 (Vol. 29) , p. 41-71
URL : www.cairn.info/revue-histoire-et-societes-rurales-2008-1-page-41.htm..
Cette privatisation permet alors d’abandonner les contraintes d’assolement biennal (dans le sud de la France) ou triennal dans le nord, pour que chacun puisse gérer librement sa propriété et donc, ensuite, modifier les pratiques culturales : engrais, cultures légumineuses pour enrichir les sols et plus tard machinisme agricole.
Mais si l’on veut sentir tout l’avantage des grandes fermes sur les petites, qu’on se demande quel est celui, du grand ou du petit fermier, qui fume le mieux ses terres; qui enlève des villes le plus d’engrais; qui creuse le plus de puits de craie ou de marne; qui cultive le plus de turneps [navet de l’anglais turnip]; qui les sarcle le mieux; qui plante une plus grande quantité de pois, de féves, de pommes de terre, de choux, de carottes; etc? quel est celui qui saigne le mieux les terres humides; qui fait les fossés les plus larges et les plus profonds; qui donne au sol les meilleures façons, et en plus grandi nombre; qui entreprend le défrichement des landes? On verra que , dans toutes ces opérations, la grande ferme est infiniment mieux entretenue et mieux soignée que la petite. C’est une vérité connue de quiconque sait seulement distinguer l’orge du froment. (Young tome 18; page 313 – Le cultivateur anglois, ou oeuvres choisies d’agriculture, et d’économie rurale et politique, Couverture – Maradan, 1801 – 464 pages)
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