Deux guerres, deux stratégies…

Les années trente auront été des années d’affrontement idéologique (et parfois physique comme en février 1934). Comme dans beaucoup de pays d’Europe, le monde paysan est courtisé par des mouvements traditionalistes. C’est l’époque de la Grande Dépression, et du retour aux idées nationalistes. Contre le spectre du communisme (les partageux), contre l’idée du libre-échange, ou de l’abaissement des tarifs douaniers contre l’idée de Front populaire, les organisations agricoles donnent de la voix et de l’image.

Nous sommes donc tout à la fois dans une évolution mondiale et dans une particularité française : le mouvement agrarien veut dépasser la lutte des classes (les travailleurs journaliers, les petits fermiers jusqu’aux châtelains sont solidaires). On retrouvera après 1940 cette volonté contre la gauche. La Corporation paysanne de Pétain mettra en scène une « ferme France » où tous seront unis (voir illustration).

Les agrariens ont souvent utilisé des techniques pacifiques de lobbying auprès des parlements, rendu possible par la structuration du mouvement autour d’importantes structures (le syndicalisme paysan compte près de 2 millions d’adhérents en 1930). L’agrarisme n’est ni du libéralisme ni du socialisme. Il s’est d’abord construit en réaction à une double conjoncture de modernisation de l’agriculture et d’affaissement des prix agricoles à la fin du XIXe siècle. C’est un contexte similaire de sentiment de perte d’identité, de fragilisation après la guerre de 1914-1918 qui explique la crispation identitaire sur les valeurs de la terre, contre la ville méprisée, contre les ouvriers. Et également antisémite, contre le Juif homme d’argent, ennemi des campagnes. Il prône aussi le « retour à la terre » pour lutter contre les débuts de l’exode rural et favoriser le retour aux « vraies valeurs » traditionnelles.

Capture d'écran 2016-02-14 18.49.19 La Corporation Nationale Paysanne (ou Corporation paysanne) est créée dès le 2 décembre 1940 et regroupe dans un organisme unique l’ensemble des structures agricoles d’avant-guerre, aussi bien syndicales que patronales, y compris les sociétés de crédit et d’assurance œuvrant dans le domaine agricole. Ce syndicat unique regroupe l’ensemble des catégories sociales (propriétaires, fermiers, métayers, salariés). L’adhésion du chef de famille implique dans la vie syndicale l’ensemble de ses membres travaillant sur l’exploitation. L’ensemble de l’organisation est placé dès l’origine sous l’autorité de l’État, mais au fil des aménagements apportés à la législation, cette mainmise s’accroît et fait de la corporation paysanne une véritable structure d’encadrement du monde agricole au profit des élites.

notreterre7 En mars 1941 est créé un « Service civique rural » afin de faire participer la jeunesse aux grands travaux agricoles et pallier ainsi la main-d’œuvre masculine manquante, prisonnière en Allemagne ou envoyée dans ce pays dans le cadre du Service du travail obligatoire. Un « pécule de retour à la terre » est créé pour les familles retournant travailler dans le monde agricole et une « Mission de restauration paysanne » est chargée de remettre en état les exploitations agricoles et les cultures abandonnées en raison de la friche sociale. La loi du 16 décembre 1942 organise et définit (tardivement) la Corporation paysanne (édifice pyramidal au caractère hiérarchique très marqué, de nombreux pouvoirs de réglementation concernant la vie agricole étant attribués aux dirigeants, théoriquement élus mais en fait désignés par les échelons supérieurs), placée sous l’étroit contrôle du Ministère de l’Agriculture, son « syndic national » étant Adolphe Pointier, gros exploitant agricole de la Somme, choisi parce qu’il dirigeait l’Association générale des producteurs de blé ; il s’appuie sur un réseau de syndics régionaux à la tête d’« Unions régionales corporatives », elles-mêmes subdivisées au niveau local contrôlé par des « syndics locaux », souvent à l’échelle de la commune. Il s’agit d’une véritable courroie de transmission du Régime de Vichy dans le monde agricole (les syndics locaux sont par exemple chargés de fixer les impositions individuelles et de les notifier aux exploitants agricoles). Cela n’empêche pas parfois quelques velléités de résistance de la part de certains syndics locaux ou régionaux Des réfractaires du Service du travail obligatoire (STO) sont parfois « reconvertis » en ouvriers agricoles avec la complicité de syndics locaux (la loi du 4 septembre 1942 exemptant les agriculteurs du départ en Allemagne), etc.

paysansdefrance Véritables enfants chéris du Régime de Vichy, les paysans passent cependant longtemps pour les vrais bénéficiaires de la politique menée par Pétain. Lui-même propriétaire terrien en sa résidence de Villeneuve-Loubet, le maréchal affirme que « la terre, elle, ne ment pas », et encourage le « Retour à la terre », politique soldée sur un échec, moins de 1 500 personnes en quatre ans tentant de suivre ses conseils. Certains partisans de la Corporation paysanne développent une vision totalement rétrograde de la condition paysanne. Henri Pourrat écrit : « Qu’on n’impose pas aux paysans le chauffage central (sur ses bienfaits, on peut rester en doute), ni même l’eau au robinet ». Un radiateur, disait-il, ne pourrait remplir le même rôle de rassemblement social que l’âtre dans la maison du paysan. Henri Pourrat défendait les sabots, l’eau boueuse préférable à l’eau stérilisée pour les animaux de ferme, etc.

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