Deux guerres, deux stratégies…

Nos paysans ont leur charge de difficultés et de souffrances. L’absence de leurs prisonniers, si nombreux, les accable d’une lourde peine, à laquelle s’ajoute pour les vieux parents, pour les femmes, pour les enfants, une tâche qui, faute d’hommes jeunes, devient chaque jour plus rude. Les chevaux, de plus en plus nécessaires, sont de plus en plus difficiles à se procurer ; au souci de la production s’ajoute celui de l’amener au point de la livraison. Et cependant le sol s’appauvrit faute d’engrais, les vignes dépérissent faute de sulfate et de soufre… Le ravitaillement est contraint d’enserrer le monde rural dans les mailles de sa réglementation, et certains paysans demandent au marché noir les bénéfices rémunérateurs que les taxes leur refusent, en leur laissant toutefois le remords tenace de mal servir la communauté nationale, dont ils devraient être les plus fervents soutiens.

Je souhaite que les paysans de France comprennent que je ne me borne pas à constater les maux qui les désolent. Je souhaite qu’ils puissent voir quelle place tiennent leurs soucis dans mon activité de chaque jour, qu’ils puissent suivre les efforts du Gouvernement pour leur attribuer, dans la misère de ces temps, des carburants, des matières premières, des moyens de production. Je souhaite qu’ils se rendent compte de la nécessité des plans d’impositions que nous établissons pour le bien commun et, parce qu’il faut que le pays vive. Je ne les considère pas cependant comme des machines à produire et je me propose de réaliser rapidement, comme je l’ai fait pour la Corporation, les grandes réformes qu’ils attendent sur le statut de la propriété foncière, sur le statut du fermage, sur le statut du métayage, sur le Code rural. Ainsi le Gouvernement, sachant ce qu’il leur doit, leur donnera ce qui leur est dû. »

En parallèle, mais moins visibles, loin des feux des journaux, des actualités filmées, les services du Génie Rural ont une autre approche du développement agricole. Le Maréchal Pétain reçoit des gerbes de blé, les curés bénissent les moissons, les ministres encouragent les syndics de la Corporation paysanne, les jardins familiaux sont ouverts pour réconcilier les Français urbains avec la terre… Les techniciens savent que le ravitaillement, cette urgence immédiate, et le développement de l’agriculture, une fois la guerre terminée, auront besoin d’autres outils, d’autres politiques. Dans ce même document, Notre Terre, où la plupart des pages sont une ode au Maréchal, le directeur du Génie rural laisse entrevoir une nouvelle orientation. Il faut rationaliser, moderniser l’outillage mais les machines agricoles d’avant-guerre sont souvent importées. Sur les photographies qui montrent en 1943 le labourage de terrains à Saint-Sulpice-et-Cameyrac près de Bordeaux et à Floirac en Gironde, les tracteurs sont des modèles 2TON de Caterpillar ! Le Génie rural veut mettre le monde rural à l’heure de la modernité : « la radio, le cinéma, l’automobile. l’avion » ces avancées n’ont pas profité au monde paysan. Donc, produire est un premier impératif. Mais tout de suite, le directeur explique qu’il faut éviter de faire les erreurs commises sous d’autres cieux, l’Amérique, où les fermiers ont surinvestis et ont été ruinés lors des crises entre 1920 et 1930. Donc, il prône la création de coopératives dénommés centres coopératifs de culture mécanique.

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