Deux guerres, deux stratégies…

DÉVELOPPEMENT DU MACHINISME AGRICOLE.

L’aménagement du sol doit être complété par une rationalisation de l’outillage et des conditions de son emploi. Avant la guerre, une notable fraction des machines agricoles était importée de l’étranger. Les nouvelles conditions économiques imposent à l’industrie française un effort particulier de fabrication dans le domaine de la machine agricole. Cet effort est entrepris par le Comité d’organisation du Machinisme agricole, suivant les directives du Ministère de la Production industrielle et en étroite liaison avec la Direction générale du Génie rural au Ministère de l’Agriculture. Le Service du Génie rural intervient, dans les départements, pour assurer la répartition des machines et des outillages en fonction des besoins de la production agricole. Mais ce n’est là, il faut bien le dire, qu’une tâche de circonstance, et l’œuvre à entreprendre, dans le domaine de l’utilisation de l’outillage, est d’une autre envergure. Elle consiste essentiellement dans la création de centres coopératifs de culture mécanique, dans les diverses régions françaises.

On connaît les avantages de la culture mécanique : suppression des frais d’entretien des animaux de labour durant les périodes d’immobilisation, gain de temps dans les travaux des champs permettant de cultiver de plus grandes étendues avec une main-d’œuvre réduite et de mettre à profit les courtes périodes d’éclaircie du printemps et de l’automne pour finir les travaux indispensables, possibilité de multiplier les façons culturales améliorantes… Tout cela devient possible avec la motoculture. Mais les tracteurs et les machines agricoles perfectionnés coûtent cher, et la dépense est disproportionnée au budget d’une : exploitation paysanne. Les fermiers américains du Middle West en ont fait la douloureuse expérience entre 1920 et 1930. Ils se sont ruinés par suréquipement individuel, tandis que les grandes entreprises mécanisées du Far-West faisaient de substantiels bénéfices. Une solution de synthèse est cependant possible : elle réside dans la coopérative paysanne pour l’achat et l’exploitation en commun des gros matériels de culture (tracteurs, batteuses, équipements spécialisés pour le traitement de la vigne et des arbres fruitiers, etc.). Cette solution combine très heureusement les avantages techniques du progrès agricole et les avantages sociaux de l’exploitation familiale, car le paysan conserve l’initiative et la responsabilité de son exploitation personnelle. L’intérêt individuel n’est pas détruit. Le lien du cultivateur et du terroir est sauvegardé. La machine n’asservit pas l’homme. Elle passe au service de l’homme.

La création des centres coopératifs de culture mécanique est une des grandes tâches du Génie rural dans un proche avenir. Conjuguée avec le remembrement et avec la coopération de transformation et de vente des produits agricoles, elle sera l’un des éléments actifs de redressement de notre économie paysanne. Ces facteurs de rentabilité permettront d’accroître la richesse paysanne et faciliteront le financement des œuvres sociales de bien-être et de santé si essentielles pour le maintien des ruraux à la terre.

CONCLUSION

Près d’un demi-siècle s’est déjà écoulé depuis la fonda­tion, en 1903, du Service des Améliorations agricoles, première incarnation du Génie rural. Durant cette période, l’industrie a fait des progrès sur­prenants : la radio, le cinéma, l’automobile. l’avion, ont transformé profondément les conditions de vie des citadins. Mais le niveau d’existence des ruraux n’a que très insuffisamment profité de ces possibilités nouvelles.

Qu’on sorte des grandes villes, centres d’élaboration et d’exploitation des découvertes industrielles, qu’on s’éloigne encore des routes nationales et des bourgs ruraux pour pénétrer, par-delà les crêtes des collines et les haies des bocages, dans les secrets replis de la campagne française, là se conservent les formes immémoriales de la vie agri­cole, avec leur rusticité, leur pittoresque, mais aussi leur anachronisme et leur misère.

Le rôle à jouer par le Service du Génie rural reste immense : rôle social au premier chef, car le taudis rural doit disparaître. Mais, conjointement, rôle écono­mique : car c’est par l’accroissement de leur productivité que les exploitations agricoles parviendront à payer les améliorations de bien-être. Mais, comment augmenter la productivité de l’agriculture, le rendement net du travail agricole, si l’outillage de la terre n’est pas perfectionné ? En définitive, l’équipement de travail conditionne I’équi­pement de bien-être. Par surcroît, l’ensemble de ces équi­pements représente une possibilité de débouchés illimitée pour l’industrie française. Ce sont ainsi les techniques du Génie rural qui jettent le pont entre les deux grandes branches de l’activité nationale, l’industrie et l’agricul­ture. C’est par cette entremise qu’elles peuvent prendre conscience de leur solidarité, au lieu de s’opposer l’une à l’autre, comme elles l’ont trop souvent fait autrefois.

C’est cette pensée réconfortante qui anime le Service du Génie rural dans la préparation des grands travaux de l’avenir. Lorsque la paix sera rétablie dans le monde, quand nos prisonniers rentreront et demanderont du travail, quand les usines d’armement chercheront de nouveaux débou­chés dans l’équipement continental, quand l’abondance des produits industriels fera ainsi sa lente. mais sûre réapparition, alors s’ouvrira, pour l’industrie du bâtiment et des travaux publics, l’ère d’une activité sans précédent. En quelques décades, le territoire de la France pourra se couvrir de villages radieux et de centres ruraux puis­samment outillés. Ces créations apporteront enfin à nos paysans l’allégement de leurs peines et les joies essen­tielles auxquelles ils aspirent.

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