D’autres idées sont travaillées : par exemple, le rapprochement de l’agriculture et de l’industrie. C’est une idée qui est revenue de façon récurrente : d’abord effacer la lutte des classes dans l’unité nationale, ensuite faciliter le ravitaillement, préoccupation première des Français, valoriser l’agriculture pour inciter les jeunes ruraux qui sont partis à la ville à revenir aux valeurs de leurs ancêtres, enfin décentraliser l’industrie, mettre les usines à la campagne, slogan qui aura la vie longue puisque dans les années 1980, il était encore affiché ici et là, y compris à la DATAR. Un travail signé Pierre Coutin commandé par la Délégation générale à l’équipement national (DGEN), structure administrative créée par le gouvernement de Vichy prend l’exemple de la Limagne et de Clermont-Ferrand où l’industrie a enlevé de la main-d’œuvre à toutes les zones rurales environnantes. Contre certaines idées reçues d’alors, « Pierre Coutin émet l’hypothèse que le surpeuplement des campagnes et la différence des salaires, qui concernent essentiellement les ouvriers agricoles et les petits exploitants, sont les causes majeures de déplacement de la main-d’œuvre agricole vers l’industrie. Cette conviction occupe une place déterminante dans les réflexions ultérieures de Pierre Coutin sur la productivité agricole et sur la modernisation de l’agriculture, ce qui l’éloigne des agrariens, comme Louis Salleron ou Robert Préaud ». Certes, les ouvriers préfèrent habiter la campagne : la vie y est moins chère, ils ont un jardin, des vignes, mais ils sont surmenés. « Le rendement industriel ne s’en ressent pas, parce que ce sont des hommes très travailleurs, mais souvent ils se surmènent. […] En période de crise, très peu de ces ouvriers reviennent à l’agriculture : l’usine les garde parce qu’en général ce sont de bons travailleurs dont le rendement est excellent. […] Pour pratiquer ce genre de vie mixte, il faut des gens originaires du pays : ils sont habitués à vivre à la campagne, ils aiment leur village ; les salaires de l’usine améliorent leur niveau de vie, ils sont contents de leur sort. Ces ouvriers d’usine habitant à la campagne sont jalousés par les paysans : quand ils travaillent à l’usine le matin, ils sont libres l’après-midi, ils blaguent les cultivateurs qui sont encore au travail et leur disent « pour les faire bisquer » qu’ils ont fini leur journée. En fait, ils travaillent autant qu’eux, mais ils gagnent beaucoup plus et cette différence de gains contribue à accélérer le glissement de la main-d’œuvre agricole vers l’industrie ». La solution de l’ouvrier-paysan, destinée à répondre à la diminution de la main-d’œuvre agricole, apparaît donc peu viable à long terme, d’autant plus qu’elle n’est pas généralisable. » […] « En dépit des chefs d’exploitation qui se plaignent de l’insuffisance de la main-d’œuvre, en dépit des friches, nous croyons que la Limagne est encore surpeuplée. La plupart des exploitations sont trop petites et comprennent un trop grand nombre de parcelles. Les terres en friche correspondent soit à de petites parcelles, soit à des terres marécageuses. La crise agricole dont souffre la Limagne n’est pas due à l’insuffisance de la main-d’œuvre mais à sa mauvaise utilisation ». Pierre Coutin plaide donc en faveur d’un programme de modernisation agricole en Limagne, fondé sur l’assainissement des marécages, le remembrement des petites exploitations, le développement de « l’emploi rationnel » du tracteur et de la moissonneuse-batteuse tout en restant lucide quant aux conséquences sociales du progrès technique dans les campagnes : « […] le progrès technique entraînera une nouvelle diminution de la population agricole.
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