Répartition des rôles : le laboureur et la crémière…

Conclusion

bpt6k7176463 « Les affiches destinées aux consommateurs et qui concernent des produits finis (beurre, fromage, gâteaux…) décoraient les murs des villes où elles étaient vues par des centaines de badauds, celles destinées aux agriculteurs pour les inciter à acheter des machines, des engrais ou des aliments pour bétail, ne pouvant compter sur cet effet de masse, étaient accrochées à l’intérieur, dans l’atelier du charron, du maréchal-ferrant, du bourrelier, dans la boutique du grainetier, plus tard chez le garagiste dépanneur.»

«Développant cette action de proximité, les firmes de fabrication de machines agricoles, d’engrais ou de farines alimentaires pénètrent peu à peu dans la cuisine même des fermiers, pourtant méfiants de nature, par le biais des calendriers primes qui rythment leur vie quotidienne. Les enfants de la communale, agriculteurs en herbe pour certains, utilisent des buvards et des protège-cahiers vantant les mérites de tracteurs ou les bienfaits d’engrais chimiques au pouvoir miraculeux. (…) Les paysans sont souvent représentés au repos, dans de nobles attitudes, les femmes posant comme d’aguichants modèles, la famille unie groupée autour de la table de la cuisine. La présence de costumes folkloriques, qui ne sont déjà plus portés au quotidien, ajoute au pittoresque de la composition, accentuant le décalage avec la ville. (…) Même l’utilisation de la photographie couleur, à la fin des années 1950, ne tarit pas cette veine folklorisante. L’action est réservée aux affiches patriotiques, semeur ou laboureur arpentant son champ, jeunes moissonnant dans l’allégresse,Marianne bêchant le sol de la patrie, sans que jamais soit souligné l’effort. Seule, la stylisation propre aux années 1960, avec ses fonds unis et ses personnages croqués en quelques traits, apporte une note d’humour.

Le peuple des campagnes n’a pas de temps à perdre : il veut du concret, et n’apprécie pas les fioritures. Les affiches qui lui sont destinées vont donc à l’essentiel. Les machines, représentées avec réalisme, occupent la majeure partie de la composition, menées par l’homme, la femme servant d’accorte faire-valoir. Un bandeau en réserve au bas du document permet d’indiquer l’adresse du revendeur local. »

(…) «Les paysans aiment se retrouver dans ces représentations réalistes de leur vie quotidienne, enjolivées par un ciel toujours bleu, un soleil toujours brillant, et des champs florissants dans lesquels les machines s’intègrent à la perfection. Ils s’identifient sans peine aux protagonistes au physique avantageux, souvent représentés de dos ou en profil perdu pour ajouter de la dynamique à la composition. (…) Dès la fin des années 1950, le procédé offset, en permettant l’intégration de photographies qui font nécessairement plus « vrai » que le trait stylisé d’un dessin, apporte un élément de réalisme supplémentaire et favorise le processus d’identification. C’est l’époque où, conformément au discours de l’État, le bonheur et la réussite passent par la mécanisation et la motorisation.

(…) L’affiche agricole a disparu aujourd’hui. (…) Curieusement, le personnage du paysan reste très présent dans la publicité commerciale et le monde de la communication en général. Dans les spots publicitaires qui ont majoritairement remplacé les compositions graphiques, on voit toujours des fromagers à grosses moustaches et à accent et des bergères « cotillon court et souliers plats », comme la Perrette du bon Jean de la Fontaine. Des enfants habillés à l’ancienne courent dans la campagne aux couleurs de l’automne et mangent des saucisses, la mère Denis trempe son linge au lavoir et la laitière de Vermeer continue à régaler petits et grands.

Ces clichés que l’on aurait pu croire usés jusqu’à la trame, continuent malgré tout à être efficaces tant il semble difficile de faire le deuil de la culture paysanne et de ses valeurs. (…)

On constate simplement que le petit village au clocher pointu, éternel arrière-plan, tend à disparaître au profit de belles étendues d’herbes vertes plus épurées qui évoquent les pelouses des résidences secondaires et nous parlent de ressourcement et de positionnement éthique. Face aux préoccupations de développement durable, le Jean qui rit triomphant des trente glorieuses se transforme de nouveau en Jean qui grogne, esclave d’une agriculture productiviste qui ne respecte plus le cycle des saisons et pollue l’écosystème. À leur vision utilitariste de la terre, outil de travail bien souvent hérité et qui doit rapporter, s’oppose celle de campagne-décor, lieu de bien-être et de ressourcement, des « urbains », avec lesquels ils doivent désormais partager leur espace vital. »

Claudine Chevrel (Bib. Forney)

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Bibliographie :

Jean-Paul Bourdon, « L’américanisation de nos campagnes. Affiches agricoles et histoire rurale (1870-1950) », Histoire & Sociétés Rurales 2007/2 (Vol. 28), p. 123-166.

Article disponible en ligne à l’adresse : http ://www.cairn.info/revue-histoire-et-societes-rurales-2007-2-page-123.htm

L’image du paysan dans la publicité – Claudine Chevrel, (Conservateur en Chef à la Bibliothèque Forney), paru dans la revue SABF (Sté des Amis de la bibliothèque Forney) 2008 – Bulletin n° 177.

http://sabf.fr/hist/arti/sabf177.php

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