Note de lecture de l’ouvrage de Hélène Morin-Hamon, Mine claire. Des paysages, des techniques et des hommes. Les techniques de préparation mécanique des minerais de fer en Franche-Comté (1500-1850)
Denis Eve, « Hélène Morin-Hamon, Mine claire. Des paysages, des techniques et des hommes. Les techniques de préparation mécanique des minerais de fer en Franche-Comté (1500-1850) », Artefact, 9 | 2019, 339-342.
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Toulouse, Presses universitaires de Toulouse, collection « Méridiennes », 2013, 264 p.
1 La Mine claire est un ouvrage tiré de la thèse de doctorat d’Hélène Morin-Hamon soutenue en 2003. Cet oxymore n’est pas un jeu de mots mais l’appellation que les exploitants de forges donnent au minerai de fer lavé à l’époque moderne. Le sous-titre « Des paysages, des techniques et des hommes », indique les problématiques abordées et son complément « Les techniques de préparation mécanique des minerais de fer en Franche-Comté (1500-1850) », fournit le cadre géographique et chronologique de l’étude. Cet ouvrage permet de découvrir l’étape mal connue de la préparation du minerai de fer avant son emploi dans les hauts-fourneaux. La Franche-Comté, et plus particulièrement la Haute-Saône, se prête parfaitement à cette étude, la région étant l’une des premières de France dans la production sidérurgique basée sur le procédé indirect. Si la sidérurgie au bois est bien connue depuis les travaux de Bertrand Gille, l’étape préparatoire du lavage du minerai l’est beaucoup moins. Dès lors, l’intérêt du travail d’Hélène Morin-Hamon est de faire découvrir cette phase cruciale du processus de production, ce moment intermédiaire méconnu entre l’extraction et l’utilisation du minerai, dont il n’existait aucune synthèse récente. Une des idées majeures de cette thèse est de montrer que la préparation du minerai devient une activité industrielle à part entière et pour y parvenir, l’auteure s’appuie sur de nombreuses sources (archéologiques et historiques) dans une démarche interdisciplinaire (archéologie, histoire, géographie, géologie, etc.). Il s’agit alors de comprendre la manière dont l’activité a marqué le paysage et comment la retrouver à travers lui. Dans le domaine de l’histoire des sciences et techniques, l’objectif est de retracer l’évolution des ateliers de lavage aussi bien dans le domaine de l’organisation que des techniques employées.
2 Le livre s’ouvre sur une préface de Claude Domergue, suivi d’un avant-propos d’Hélène Morin-Hamon faisant office d’introduction. Cette dernière aurait mérité d’être davantage développée afin de valoriser la démarche et le parti pris méthodologique de la chercheuse. En outre, le choix d’un découpage thématique de l’ouvrage donne parfois l’impression d’une répétition, comme c’est le cas, par exemple, entre la première et la quatrième partie reprenant l’évolution chronologique du lavage du minerai.
3 Dans une perspective européenne et de longue durée, la première partie est consacrée à la préparation du minerai. La démarche comparative se développe et s’appuie sur différents exemples telles les mines du Laurion en Grèce pendant l’Antiquité ou encore la région du Dartmoor en Angleterre au Moyen-Âge. Ici, Hélène Morin-Hamon met en avant les apports de l’archéologie dans ce domaine. Cette approche est croisée avec l’analyse de différents textes de l’Antiquité au xixe siècle (Pline l’ancien, Strabon, Agricola, l’Encyclopédie, Courtivron et Bouchu) et par la mise en valeur de documents plus rares, comme les magnifiques planches du manuscrit de Heinrich Gross, La rouge myne de Sainct Nicolas de la Croix.
4 La deuxième partie expose l’étendue du savoir pluridisciplinaire nécessaire pour étudier cette activité et la cerner dans sa globalité. La géographie présente le cadre naturel, la géomorphologie et de la minéralogie expliquent la présence de minerai. L’auteure livre toute la méthodologie nécessaire, afin de localiser les différents sites, en croisant données d’archives et archéologiques sur le terrain, avant de terminer par la présentation du processus de préparation du minerai. À l’aide des archives, elle détermine les différentes étapes qui le composent : le cassage, le triage, la macération, le lavage et l’assortiment.
5 La troisième partie définit le corpus des sites et en fait l’étude. Les éléments les plus intéressants de l’ouvrage sont alors dévoilés. L’auteure fait le bilan des recherches réalisées entre 1996 et 2003 sur cent trente communes permettant de répertorier plus de cinq cents ateliers de lavage. Nous réalisons alors l’ampleur du travail de prospection et de dépouillement des archives nationales et du département de la Haute-Saône, principalement du début du xixe siècle. À partir de la présentation de certains sites sélectionnés pour illustrer une typologie des lavoirs, la chercheuse décrypte le paysage d’aujourd’hui pour rétablir l’objet d’étude grâce à l’emploi d’une iconographie importante et variée. Les cartes de localisation à l’échelle départementale et locale (carte IGN 1/25 000e) délimitent l’espace étudié. Les cartes physiques, géomorphologiques et les coupes expliquent son implantation. Les photographies de prospection, les schémas de reconstitution et les tableaux récapitulatifs donnent une image du site tout en faisant le lien avec les archives. Cette confrontation permet de valider les hypothèses émises par l’exploitation des données de terrain. Le dernier cas étudié expose l’importance du bassin-versant dans l’organisation de cette activité.
6 La quatrième partie présente les différentes techniques de lavage employées en Haute-Saône et leurs acteurs. L’analyse s’appuie sur les archives du xixe siècle, principalement des correspondances liées aux procédures induites par les installations et les procès-verbaux des agents des services des mines. L’Encyclopédie, les carnets de voyage des élèves ingénieurs et des reconstitutions viennent compléter et illustrer cette documentation de départ. L’auteure retrace l’évolution des techniques et des machines de lavage du minerai depuis le xviiie siècle : du lavoir à bras à la mécanisation avec les différents types de patouillets existants (hydraulique, à cheval et à vapeur). Hélène Morin-Hamon souligne la nécessité de la maîtrise de l’hydraulique pour rendre la mine claire et encore davantage pour contrôler les boues de lavages et la pollution qu’elles induisent. La réflexion se poursuit sur l’apport des minerais et des boues de lavage. Les restes de matière première et les déchets fournissent des informations sur les sites d’extraction et la stratigraphie. La chercheuse essaie aussi de reconstituer l’organisation et la structuration à partir des données archéologiques des ateliers de lavage. Les deux dernières courtes sous-parties sont originales. Dans la première les données statistiques sont utilisées pour réaliser des estimations de rendements et dans la seconde on trouve un portrait général des ouvriers du lavage à travers les données éparses fournies par les archives. Cependant, Hélène Morin-Hamon se trouve confrontée au problème de tous les chercheurs de l’époque moderne avec la difficulté à trouver des archives antérieures à la guerre de Trente Ans concernant cette activité dans cette région. L’essentiel de la documentation concerne donc principalement la fin du xviiie siècle et surtout le xixe siècle avec de beaux plans en couleurs issus de la série S des archives départementale de la Haute-Saône.
7 La cinquième partie, très courte, est une conclusion dressant le bilan de l’impact de cette activité quasi industrielle sur le paysage. L’interaction entre une ressource, des hommes et un territoire. Pour compléter l’ensemble, l’auteure nous propose un glossaire conséquent pour comprendre le vocabulaire spécifique de cette activité et une bibliographie assez dense. L’ouvrage richement illustré se présente comme un vade-mecum pour tous ceux qui s’intéressent à la sidérurgie et à cette étape peu connue du lavage du minerai. En alliant fouilles archéologiques et dépouillements d’archives, la chercheuse confronte les deux types de sources pour en tirer le meilleur profit. Elle établit des modèles ainsi qu’une grille de lecture pour les enquêtes de terrain. Cette démarche et une prospection archéologique minutieuse ont permis de retrouver de nombreux sites. L’auteure peut alors en dégager les principes fondamentaux et reconstituer les paysages industriels. Le livre rend compte du travail minutieux réalisé par Hélène Morin-Hamon et son équipe pour recenser dans le paysage les différents sites. Cependant une présentation différente aurait rendu la lecture de l’ouvrage plus facile et accessible.
Pour citer cet article
Référence papier de la note de lecture
Denis Eve, « Hélène Morin-Hamon, Mine claire. Des paysages, des techniques et des hommes. Les techniques de préparation mécanique des minerais de fer en Franche-Comté (1500-1850) », Artefact, 9 | 2019, 339-342.
Référence électronique
Denis Eve, « Hélène Morin-Hamon, Mine claire. Des paysages, des techniques et des hommes. Les techniques de préparation mécanique des minerais de fer en Franche-Comté (1500-1850) », Artefact [En ligne], 9 | 2018, mis en ligne le 04 mars 2020, consulté le 10 août 2020. URL : http://journals.openedition.org/artefact/3712
Sommaire (cliquez sur les liens pour accéder aux articles) du livre https://books.openedition.org/pumi/4397
I. L’enrichissement des minerais… entre archéologie et histoire
II. Ressources minérales et territoires… en quête de techniques
III. Quand les traces révèlent l’activité humaine
IV. Archives du sol et sources documentaires… des techniques et des hommes
V. “Mine claire”. Les paysages témoignent