L’apparition du monument aux morts ne date pas de 1918. Mais c’est pourtant une idée assez récente et une invention américaine.
Pour que la collectivité décide de créer des monuments aux morts, il faut plusieurs éléments. D’une part, une idée nouvelle en Occident : le citoyen-soldat mobilisé au service d’une idée elle aussi nouvelle : la patrie.
Or jusqu’à la Révolution, ces deux concepts sont absents : des soldats mercenaires ou plus ou moins volontaires sont au service du Roi. La guerre, qui ruine l’économie et cause d’innombrables morts parmi les civils, est une affaire de professionnels. C’est d’ailleurs la justification de la noblesse dans la structuration de la société en trois ordres : le noble défend le clergé et le tiers-état, en échange de ses privilèges.
L’apparition du soldat qui se mobilise pour la nation, la patrie, est symbolisée par Valmy, cette petite canonnade qui a fait grand bruit en Europe car pour la première fois, des armées d’Ancien Régime reculaient devant la force d’une idée.
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Voir dans la base de données les planches de l’album de la fonderie Durenne
Sous l’Empire, la mobilisation des Français sera également massive et difficile. Le régime impérial incarne un mélange difficile à qualifier : autocratie ? culte d’un chef qui se développera encore plus après 1815 ? Patriotisme ? Tout à la fois…
La Restauration, la Monarchie de Juillet ne pouvaient pas rendre hommage aux soldats de l’an II. et aux grognards de Napoléon. Politiquement opposées, en réaction contre l’élan révolutionnaire, il leur était hors de question de célébrer cette mobilisation et ce sacrifice.
Le second ingrédient politique pour qu’apparaisse un culte des morts collectif, c’est l’identification d’un pays à ses citoyens, ses fils, capables de mourir pour un idéal communautaire, pour la Nation.
Le troisième, c’est la stabilité politique : elle donne du temps pour que mûrisse le sentiment de reconnaissance. On aurait pu penser que la révolution française ait eu l’envie d’honorer ses soldats citoyens, mais emportés par l’instabilité, les différents gouvernements n’avaient ni le temps, ni peut-être la réflexion, de faire des soldats de Valmy et de la levée en masse des modèles d’édification civique…
Une initiative américaine
C’est du côté des États-Unis que l’on trouvera la réunion de ces trois composantes : des soldats-citoyens, une identification à leur sacrifice, une stabilité politique pour un gouvernement qui veut magnifier le courage des soldats. La guerre de Sécession, de 1860 à 1865, sera la première guerre “moderne” : par l’importance des combats, par l’utilisation de la technique, et par conséquent par l’ampleur des massacres (plus de 600 000 morts, un million de victimes).
Une nation se défend contre une partie d’elle-même dans une guerre civile (Civil war est le nom US de ce conflit) sans merci ; les premiers monuments aux morts seront la traduction concrète d’une reconnaissance accordée par le pays aux citoyens morts pour des idées : l’unité nationale, la fin de l’esclavage, une certaine forme de démocratie.
Ce n’est donc pas étonnant qu’outre les monuments aux morts, les Américains aient inventé le Memorial day, jour du souvenir des morts, notre propre 11 novembre avant la date célébré le dernier lundi de mai.
Dix ans après, la France, traumatisée par la défaite de 1870, allait suivre le modèle américain. Mais alors que les Américains voulaient cimenter l’unité retrouvée, les Français regardent toujours la ligne bleue des Vosges dans l’espoir de la revanche.
Article extrait du numéro de Fontes 31-32 paru en 1998