La fonte au service du culte du souvenir

Introduction (extrait du dossier paru dans la revue Fontes 31_32)

fontes30-31Le 11 novembre à 11 heures, le clairon sonne enfin l’armistice tant attendu. Partout le silence gagne les champs de bataille labourés par les centaines de millions d’obus (250 millions tirés du seul camp français, 350 millions fabriqués par une industrie de l’armement déjà installée ou reconvertie à la hâte comme dans les usines métallurgiques de Champagne ou de Lorraine (non envahie).

Après le soulagement des survivants, s’organise l’après-guerre : rentrée au village, l’armée française, essentiellement formée de fantassins venus des campagnes, se retrouve dans les associations de combattants qui deviennent des anciens combattants et qui s’organisent pour que cette guerre soit réellement la « Der des der ».
Qu’ils soient républicains, royalistes, pacifistes, tous veulent une France différente : les camaraderies nouées dans la boue, le froid, la sécheresse, contre la peur et la mort, sont fortes. Tous se retrouvent dans le souvenir des morts, si nombreux, que la France en est traumatisée, bouleversée, démographiquement et économiquement.
Antoine Prost dit : « pour mesurer l’ampleur de l’hécatombe, imaginez : six fois la population d’une ville moyenne comme Orléans… Et si vous rangez les morts côte à côte, épaule contre épaule, vous avez une ligne immense de 700 km de cadavres !  »
Le culte des morts, commencé dès avant la victoire, par les mutilés et les réformés, déjà revenus au pays, prendra une forme nouvelle, exceptionnelle : il est le seul républicain, le seul quasi universel puisque les communes non touchées par la guerre sont très rares (moins d’une commune sur cent n’a pas de monument aux morts), le seul laïque, autour d’un autel : le monument aux morts.


La quête d’éternité que traduit le recours au monument passe par la sculpture capable de donner forme visuelle au thème du souvenir. Le métal est censé être le matériau le plus résistant encore qu’Horace commençait son Ode par Exegi monumentum aere perennius
j’ai achevé un monument plus durable que l’airain…

Les vers plus solides, plus immortels que le bronze ? Peut-être ! Certainement ! Mais les chefs d’État ont souvent préféré édifier des statues ou des stèles pour asseoir leur pouvoir, ne faisant que peu confiance aux mots réservés aux lettrés !

Les fonderies ont donc largement participé à cet effort de mémoire, même si leur apport est minoritaire pour des raisons budgétaires. Les communes rurales étaient trop pauvres pour s’offrir un poilu de métal et les villes trop riches pour acheter une statue de série.
On trouvera donc le bronze et la fonte dans une « middle class » de communes assez argentées, pas trop, démarchées par les vendeurs de Durenne, du Val d’Osne, de Tusey… Sinon, plus modestement, la palme de la gloire ou du martyre, la croix de guerre, l’épée… seront les achats faits sur catalogue pour orner une stèle, un obélisque.
C’est ce rapport entre le souvenir et la métallurgie que nous développerons dans ce numéro de Fontes. Pour montrer qu’à côté de la fonte de série, les entreprises de la région savaient traiter les grands événements, deux aspects différents illustreront le lien entre l’artiste, la commande publique et le destin : car contrairement à la légende, le bronze et la fonte ne sont, hélas, pas éternels et ne durent que ce que les hommes veulent bien leur accorder.

Dominique Perchet


Article extrait du numéro de Fontes 31-32  paru en 1998

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