L’histoire de Dommartin-le-Franc
Lire le numéro spécial de Fontes consacré à ce site : Fontes 64-65 Mai 2007 – 52 pages – 15 x 21 cm
Voir également dans la rubrique “route du fer” les pages avec des images anciennes sur la commune de Dommartin-le-Franc
(Texte établi par Elisabeth Robert-Dehault)
20 hauts-fourneaux dans la très industrieuse vallée de la BlaiseAu XIXe siècle, si l’on en croit l’historien local Jean-Marie Chirol, la Blaise était la rivière de France qui faisait mouvoir le plus grand nombre de forges. Entre Cirey-sur-Blaise et Éclaron, distants d’une trentaine de kilomètres, plus de 25 établissements: hauts-fourneaux, forges, bocards, patouillets, ateliers de transformation, étaient implantés dans 15 villages.
Dans la plaidoirie d’un procès qui opposa la société Danelle à Le Bachellé en 1843, le premier expose qu’avant 1830 il n’y avait que douze hauts-fourneaux dans la vallée de la Blaise et qu’après cette date huit hauts-fourneaux ont été construits sur cette rivière (l’affluent du Blaiseron et Sommevoire compris), soit vingt hauts-fourneaux.
Avec Wassy, dont la fondation remonte à 1157, Tempillon et Dommartin (1264), Doulevant-le-Château et Le Châtelier (1395), Le Buisson (1447), Allichamps (1493), Cirey (1503), Montreuil-sur-Blaise (1621), Brousseval (1796), on peut considérer que cette vallée est la plus ancienne ou, pour le moins, fait partie des premières vallées industrielles.
Le minerai de fer de qualité abonde. Des minières furent exploitées à Louvemont, Attancourt, Voillecomte Vallerest, Brousseval, Fays, Domblain, Vaux-sur-Blaise, Bailly-aux-Forges, Rachecourt-sur-Blaise Suzémont, Doulevant-le-Petit, Ville-en-Blaisois, Morancourt, Dommartin-le-Franc, Cirey-sur-Blaise, Wassy.
Des familles entières de charbonniers vivaient dans les forêts et dressaient des meules pour faire du charbon de bois. Des bans de sable, notamment à Louvemont, et de terre réfractaire y étaient exploités.
Plusieurs canaux, alimentés par la Blaise et des sources, actionnaient les roues à aubes. Le plus long, le canal des usines, fournissait de l’eau à huit établissements métallurgiques dans six villages, de Courcelles à Vaux-sur-Blaise. La date de son creusement, « de main d’hommes » est inconnue, mais « on trouve des transactions en l’an 1190, comme en témoigne Simon, sire de Joinville ».L’usine du bas de Dommartin-le-Franc: plus de 500 ans d’activité.
La longue histoire de l’usine du bas de Dommartin illustre celle du développement industriel de la France, depuis la réduction directe dans des forges à bras jusqu’à la seconde fusion au cubilot. Elle s’inscrit dans un contexte économique où les périodes de croissance alternent avec celles de récession. Elle raconte les nécessaires évolutions techniques, les conflits vitaux autour de l’eau, du bois, du minerai, les reconversions. Usine à la campagne, Dommartin est le point d’ancrage d’une communauté d’ouvriers qui, de génération en génération, a transmis son savoir-faire. En 1842, avec 48 sableurs, l’usine a produit, malgré la sécheresse, 789 tonnes de fontes marchandes.
Une forge princière
Lassée par les litiges qui l’opposent aux habitants de Dommartin, la famille de Lorraine s’en remit à l’autorité du roi Charles VII qui trancha en accordant à Ferry II des lettres patentes en 1459. Celles-ci indiquaient le droit de propriété immémorial du seigneur de Dommartin sur les forges et sur le canal qui les bordait.
En 1517, une princesse de Lorraine laisse en fermage à Jean Boileau sa grosse forge de Dommartin, composée d’un haut-fourneau, d’une affinerie, martellerie et autres affaires, ainsi que d’un moulin à blé dont l’emplacement se situe sur le périmètre de l’usine du haut.
En 1662 elle fut donnée à bail par Artur Guillaume de Saint-Eulien, seigneur de Dommartin. Un second bail sera fait par Nicolas Guillaume de Saint-Eulien, son fils, en 1669. Un troisième, signé par Guillaume de Saint-Eulien, contient la location du cours d’eau, chaussées, etc.
Le fief sera transmis à la famille de Saint-Geniest de Joinville. En 1720, un nouveau bail mentionne l’existence d’un bocard construit quelques années auparavant. En 1732, Louis Auguste Cousin de Chatillon devient propriétaire du fief.
Les transporteurs, ou rouliers, apportaient les productions à Saint-Dizier, au port au fer (aujourd’hui jardin public). Celles-ci étaient amarrées sur des bateaux à fond plat appelés marnois, ou sur des trains de brelles: succession de radeaux liés entre eux et composés des troncs d’arbre. Ces embarcations descendaient le cours de la Marne jusqu’à Paris, où les marchandises et le bois étaient vendus.
1773: renaissance de la forge
Tous ces baux n’évoquent aucune activité continue dans la forge et le destin de celle-ci reste obscur jusqu’en 1773. Il semble, en effet, qu’elle ait été abandonnée pendant de longues années. Dans sa requête au roi demandant la permission de reconstruire un fourneau à un feu, Arnould François Cousin de Chatillon, fils de Louis Auguste, expose « qu’il est propriétaire des moulins, bocards et lavoirs à mine constituant son seul bien… Et qu’il y avait en outre sur l’emplacement occupé par ses usines, une grosse forge à fer et un fourneau. »
Arnould François Cousin de Châtillon obtint l’autorisation de reconstruire. L’ordonnance royale du 12 janvier 1773 mentionne que les documents fournis par ce dernier prouvent l’ancienne existence de la forge, et que « le peu de commerce qui subsistait, il y a environ un siècle dans la province de Champagne, surtout dans cette partie, a rendu les seigneurs qui ont succédé à la maison de Lorraine peu attentifs à la conservation de cette forge en sorte qu’étant tombée en ruine ils n’ont conservé que des bocards et lavoirs pour l’exploitation des mines de fer qui se tirent sur le finage de Dommartin. »
En 1778, Cousin de Châtillon donne son usine en fermage à Jean Hubert Rozet, dit Champerlé, qui n’a que 18 ans et deviendra plus tard maître de forges au Clos-Mortier (Saint-Dizier).
Dans un article paru dans la revue Fontes, Philippe Delorme, docteur en Histoire, retrace le début de carrière de Rozet à Dommartin. On y produit des plaques de cheminée, des poêles à bois, des chenets, des potagers, des tuyaux, des marteaux de forges. Rozet, à la demande d’un marchand de fers d’Orléans dénommé Blanchard, se lance dans la fabrication de « vases en fonte pour mettre dans les jardins… du goût le plus nouveau… sans nul défaut à la fonte ». Si l’expérience ne fut commercialement pas concluante, elle n’en demeure pas moins la confirmation d’un savoir-faire local, déjà reconnu au XVIIe siècle par Louis XIV qui fit commander à Tempillon (Rachecourt-Suzémont) 400 contre-cœurs et des tuyaux lors de la construction du château de Versailles. Elle préfigure également un marché qui explosera à partir de 1830, celui de la fonte d’art où les fondeurs haut-marnais excelleront.
Pendant la Révolution, l’usine fabrique des boulets et des gueuses. En 1818, 21 ouvriers, 9 minerons, 30 forestiers et 16 transporteurs travaillent à l’usine.
1820-1885: expansion et diversification avec la fonte d’art
En 1820, Madame de Chateauvieux, fille de François Arnould Cousin de Châtillon, donne l’usine à bail pour 27 ans à Charles Jean Baptiste Le Bachellé, demeurant à Courcelles-sur-Blaise. Celui-ci épousera la fille de Madame de Chateauvieux et deviendra par la suite propriétaire d’un bien industriel encore modeste.
En plus du haut-fourneau, il comporte « deux halles, d’écuries, d’un hallier, d’une chambre dite la boutique des potiers en terre, d’un bocard à laver la mine, d’un logement et de jardins. » S’y ajoutent « le moulin, consistant en un moulage, bocard, lavoir à mine, logement de meunier, jardin potager. »
Le Bachellé a 35 ans et ne manque ni de projets, ni d’ambition. Très vite, il investit et développe l’usine. En 1827, il installe un wilkinson. En 1828, il sollicite l’autorisation d’établir un second haut-fourneau en face du moulin situé 300 mètres en amont de l’usine. Celle-ci lui sera accordée le 28 avril 1834 par ordonnance signée par Louis-Philippe, roi des Français. Elle sera dénommée usine du haut.
En août de la même année, il sollicite l’autorisation de maintenir en activité les ateliers de lavage de ses usines et, le 24 décembre, il demande à adjoindre un second haut-fourneau à la première usine (usine du bas). En 1835, l’ordonnance royale stipule « La construction de cette nouvelle usine ne doit nécessiter aucun changement au régime des eaux motrices, attendu qu’une seule machine soufflant servirait pour les deux fourneaux à la fois. Les forêts et les minières environnantes fourniraient à l’alimentation du fourneau demandé. »
L’entreprenant maître de forges n’est pas au bout de ses peines. Le 22 janvier 1835, le conseil municipal de Wassy s’oppose à l’exploitation de ces nouvelles installations au motif que les eaux restituées sont chargées de morées et impropres à tout usage. Le litige sera tranché par le préfet en 1837, qui autorisera Le Bachellé à « conserver et tenir en activité l’ancien bocard à cinq pilons et l’ancien patouillet à une huche, ainsi que le nouveau bocard à dix pilons et le nouveau patouillet à deux huches qui dépendent des usines qu’il possède » et à « établir dans l’enceinte de ses usines un troisième haut-fourneau », sous plusieurs conditions: le creusement de 4 bassins d’épuration pour l’usine du haut et de 3 pour l’usine du bas, ainsi que le chômage des bocards et patouillets du 1er juin au 1er octobre de chaque année.
Le minerai est également source de luttes entre les maîtres de forges. En 1838, Le Bachellé n’obtient la concession que d’un demi-hectare à Rachecourt-sur-Blaise alors qu’il en demandait le double. Au fil des siècles, les usines de Dommartin exploiteront également les minières du lieu-dit Préquinval situé sur le finage du village, ainsi que celles de Bailly-aux-Forges et Morancourt.
L’usine du bas est louée à M. Perron en 1836. En 1840, celui-ci deviendra l’un des associés de la société Danelle, composée de Fidèle, Constant, Joseph Danelle, maître de forges au Buisson, Charles-Antoine Gény, maître de forges à Montreuil-sur-Blaise et Victor Doé, maître de forges à Chamouilley.
Un plan déposé aux Archives départementales montre que l’ancien haut-fourneau fonctionne avec une soufflerie classique et le nouveau avec une soufflerie à pistons. Les fusions se font à l’air chaud depuis 1839.
En 1842, avec 48 sableurs, l’usine a produit, malgré la sécheresse, 789 tonnes de fontes marchandes/
En 1848, à l’occasion d’un projet de bail, un état des lieux des deux usines est effectué à la demande de Jean Baptiste Le Bachellé et d’Élophe Capitain, maître de forges à Rimaucourt et gérant de la société Capitain Rémond et Cie. L’usine du bas comporte, outre les appareils de fusion, les souffleries et deux roues à aubes, un atelier de boîtes de roues, une menuiserie, trois grues, une tournerie, une maréchalerie, un tour à bois, une percerie une halle à charbon, des magasins, une râperie, une remise pour les sables, des remises et greniers, des bureaux, des logements pour les ouvriers et les employés, des écuries, des latrines, des jardins, un poulailler…
À la mort de Jean-Baptiste Le Bachellé, en octobre 1849, son fils Louis-Alexandre s’associe à son beau-frère Ferdinand de Chanlaire pour créer les Établissements Le Bachellé & Cie.En 1855-1856, les hauts-fourneaux fonctionnent avec du combustible mélangé et l’usine, dotée d’un appareil à vapeur de 10 CV en plus des deux roues hydrauliques de 7 et 12 CV, emploie 110 ouvriers. Un haut-fourneau est arrêté en 1860, il n’y a plus qu’une roue hydraulique de 8 CV en activité.
Le Bachellé & Cie diversifie ses productions et part à la conquête de nouveaux marchés dont celui de la fonte ornementale. Les informations manquent pour dater sa collaboration avec le fondeur parisien Ovide Martin.
Ce dernier est mentionné en 1851 comme exposant à l’Exposition universelle de Londres et en 1856 comme maître de forges et fondeur en fer doux et cuivre. En 1867, il n’est plus que propriétaire de modèles.
En 1860, Saupique rapporte que « MM. Le Bachellé et de Chanlaire ont de la poterie, de la sablerie et de la mécanique de batterie; l’ornement est de M. Ovide Martin qui tire de Dommartin les fontes moulées sur des modèles qui lui appartiennent. » Le fonds de modèles d’Ovide Martin sera par la suite racheté par l’usine.
En 1874, Ferdinand de Chanlaire revend ses parts à Alexandre le Bachellé. L’entreprise décline. Elle peine à honorer ses traites et, en 1885, est en cessation de paiement. Alexandre Le Bachellé demande la liquidation de la société 30 et tente, avec l’aide d’un syndic, de sauver l’affaire. L’inventaire de son matériel comporte la description de matériel plus récent: une turbine pour le moulin à noir, deux pompes aspirantes et foulantes pour l’alimentation des tuyères, une machine soufflante verticale à deux pistons double effets mus par la roue de 12 CV et quelques machines pour l’ajustage des cuisinières.
L’émaillage des cuisinières qui se faisait encore dans l’usine du haut en 1885 est ramené dans celle du bas dans un atelier mieux équipé.
Catalogue de 1899 : les poteries étaient recuites dans le haut-fourneau de l’usine du bas
1890-1986: les 4 dernières générations aux commandes de l’usine
La même année, Ferdinand de Chanlaire fonde une société avec son fils Charles et reprend les actifs Le Bachellé. Les hauts-fourneaux ne sont pas rallumés et l’usine s’oriente vers la seconde fusion. Le plus récent sera démoli pour laisser place à deux cubilots, fours de seconde fusion succédant aux wilkinsons
À la mort de Ferdinand en 1895, Charles de Chanlaire et son neveu Charles de Magnienville s’associent et créent la société Les Héritiers de Ferdinand de Chanlaire, qui passe en nom collectif en 1917 et exploite Les Hauts-fourneaux, Fonderies et Émailleries de Dommartin-le-Franc. Ils embauchent un directeur, dont le fils et le petit-fils exerceront les mêmes fonctions.
Entre 1895 et 1913, ils investissent dans un matériel plus performant: roue hydraulique et turbines verticales, cubilots, voie ferrée desservant les ateliers pour la fonderie, locomobile, moteurs à essence pour la force motrice des ateliers, éclairage avec becs à acétylène puis l’électricité (autour de 1920), machines-outils, etc. L’usine est composée de 38 bâtiments, édifiés au fil du temps autour de celui du haut-fourneau.
De nouveaux logements sont construits près de l’usine, ainsi que les bureaux actuels.
En 1910, ils rachètent à son inventeur le brevet de la fameuse cheminée- cuisinière Maillard qui connaîtra un grand succès et créent un atelier spécifique. Ils produisent également des fontes d’album, des poêles et appareils de chauffage central d’église, des cuisinières, des fontes funéraires et vinicoles.
Le catalogue, non daté, accompagnant un tarif 1936 présente, sous 127 rubriques, environ 1000 modèles dans les rubriques chauffage, ménage, fumisterie, assainissement, serrurerie, vases, fontes mécaniques et fontes funéraires. Certaines planches ont été récemment insérées: des cuisinières au décor Art déco, et la pièce d’appui en fonte Fildier qui remplace les seuils de fenêtre en bois et permettent d’évacuer les eaux de pluie avec un revers. Cette pièce parfaitement plate et très précise sera utilisée pendant des décennies lors de la reconstruction ou de l’extension des villes avant et après la seconde guerre mondiale.
Les articles de chauffage et de ménage, d’une grande finesse d’exécution, sont émaillés dans un nouvel atelier qui a conservé ses fours. Les décors délicats sont peints à la main par des femmes.
Comme beaucoup d’usines à la campagne, Dommartin est une grande famille, attachée à ses codes, ses usages, ses savoir-faire transmis par les générations. Le personnel est logé par l’usine qui possède une centaine de maisons, à Dommartin et Ville-en-Blaisois. Pratiquement tous les ouvriers sont dotés d’un surnom, attribué en fonction de son caractère, son physique, son comportement, ses origines, ses talents, ses grands et ses petits côtés. Ainsi, le Maquin, le Cabot, la Mugotte, Buldo, Camoineau, le Négus, Cerise, la Bique, Potiron, Ramonette, la Framboise, la Gambille, le Robico, le Calabrais, le Rouchon, la Coccinelle, le Bambou, le Chicot, Gros-Papa, parmi d’autres, forment-ils une galerie de portraits hauts en couleurs évoquant mille et une anecdotes où la dérision bon enfant et le rire ne sont pas en reste. Les bâtiments eux-mêmes ont été baptisés au fil des siècles: le fourneau, la singerie, la tonne, le paradis, la bergerie…
Au décès de Charles de Chanlaire (1946),Charles de Magnienville prend en charge les destinées de l’usine en conservant les mêmes orientations. La production des seuils de fenêtre et de porte prend une place prépondérante dans le carnet de commandes. L’ensemble des bâtiments couvre une surface d’environ 4000 m2.
Charles de Magnienville meurt accidentellement en 1963. Ses fils Charles-Étienne et François deviennent président-directeur général et directeur général adjoint. Ils héritent d’une société marquée par le poids des traditions et la fidélité de quelques clients positionnés sur des marchés en récession. Ils poursuivent la mécanisation avec l’achat, en 1964, de machines à mouler qui impose la réfection complète de l’électricité.
Après l’effondrement du marché des cuisinières et du chauffage traditionnel, les deux frères recherchent d’autres débouchés. Tout en poursuivant la fabrication de seuils de porte et de fenêtre pour Fildier, ils décident d’exploiter à nouveau le très ancien fonds de modèles de plaques de cheminée et celui des fontes d’art constitué au XIXe siècle dont des chenets, des fontaines, des bancs de jardins, des lampadaires, des vases, des balcons de croisées, des panneaux de porte et des petits éléments de fonte domestique ou ornementale.
Ils se lancent également dans la production de récupérateurs de chaleur et tissent la toile d’un réseau commercial.
En 1968, deux cubilots de 4,5 tonnes remplacent les anciens. L’année suivante, ils construisent une halle d’expédition. Autour de 1975, ils investissent dans un nouvel atelier et un chantier de moulage, avec pont roulant pneumatique, silo à sable et sablerie afin de mouler au sable furanique (sable mélangé avec une résine chimique autodurcissante). Jusqu’alors, le sable était battu à la pelle et les moules, faits à la main, étaient séchés dans des étuves. 180 ouvriers travaillent dans l’usine.
En 1980, ils créent le magasin Les Fontes d’Art de Dommartin pour vendre sur place une partie de la production ornementale. L’entreprise souffre d’une conjoncture morose. Le nouveau réseau commercial n’alimente pas suffisamment l’usine qui reste dépendante de Fildier (50 % de la production) dont les commandes baissent.
Le 14 juin 1983, Les Fonderies et Émailleries de Dommartin-le-Franc déposent leur bilan, jetant la consternation parmi la centaine d’ouvriers qui y travaille encore. Pendant deux ans, elles poursuivent leur activité sous redressement judiciaire, mais le dépôt de bilan de Fildier leur donne le coup de grâce.
Charles-Étienne et François de Magnienville, avec le syndic, trouvent un repreneur en 1985 en la personne de Monsieur Gutmann, ancien directeur des fonderies de Chevillon qui redémarre l’usine sous l’enseigne Fonderies du Vallage, mais connaît vite des difficultés. En décembre 1987, il dépose son bilan. Le magasin « Les Fontes d’art de Dommartin », ainsi qu’une partie des bâtiments sont alors rachetés par la famille Lang-Ferry. La fonderie passe entre les mains de Bernard Cordier, ancien directeur de la fonderie d’Allichamps, qui tentera de sauver l’affaire, notamment en apportant la fabrication de cadres à piano.
Sous l’appellation « fonderies du Blaisois », l’usine fermera définitivement ses portes le 31 décembre 1992.
Une forge princière Lassée par les litiges qui l’opposent aux habitants de Dommartin, la famille de Lorraine s’en remit à l’autorité du roi Charles VII qui trancha en accordant à Ferry II des lettres patentes en 1459. Celles-ci indiquaient le droit de propriété immémorial du seigneur de Dommartin sur les forges et sur le canal qui les bordait. En 1517, une princesse de Lorraine laisse en fermage à Jean Boileau sa grosse forge de Dommartin, composée d’un haut-fourneau, d’une affinerie, martellerie et autres affaires, ainsi que d’un moulin à blé dont l’emplacement se situe sur le périmètre de l’usine du haut. En 1662 elle fut donnée à bail par Artur Guillaume de Saint-Eulien, seigneur de Dommartin. Un second bail sera fait par Nicolas Guillaume de Saint-Eulien, son fils, en 1669. Un troisième, signé par Guillaume de Saint-Eulien, contient la location du cours d’eau, chaussées, etc. Le fief sera transmis à la famille de Saint-Geniest de Joinville. En 1720, un nouveau bail mentionne l’existence d’un bocard construit quelques années auparavant. En 1732, Louis Auguste Cousin de Chatillon devient propriétaire du fief. |
1773: renaissance de la forge Tous ces baux n’évoquent aucune activité continue dans la forge et le destin de celle-ci reste obscur jusqu’en 1773. Il semble, en effet, qu’elle ait été abandonnée pendant de longues années. Dans sa requête au roi demandant la permission de reconstruire un fourneau à un feu, Arnould François Cousin de Chatillon, fils de Louis Auguste, expose « qu’il est propriétaire des moulins, bocards et lavoirs à mine constituant son seul bien… Et qu’il y avait en outre sur l’emplacement occupé par ses usines, une grosse forge à fer et un fourneau. » Arnould François Cousin de Châtillon obtint l’autorisation de reconstruire. L’ordonnance royale du 12 janvier 1773 mentionne que les documents fournis par ce dernier prouvent l’ancienne existence de la forge, et que « le peu de commerce qui subsistait, il y a environ un siècle dans la province de Champagne, surtout dans cette partie, a rendu les seigneurs qui ont succédé à la maison de Lorraine peu attentifs à la conservation de cette forge en sorte qu’étant tombée en ruine ils n’ont conservé que des bocards et lavoirs pour l’exploitation des mines de fer qui se tirent sur le finage de Dommartin. » En 1778, Cousin de Châtillon donne son usine en fermage à Jean Hubert Rozet, dit Champerlé, qui n’a que 18 ans et deviendra plus tard maître de forges au Clos-Mortier (Saint-Dizier). Dans un article paru dans la revue Fontes 22, Philippe Delorme, docteur en Histoire, retrace le début de carrière de Rozet à Dommartin. On y produit des plaques de cheminée, des poêles à bois, des chenets, des potagers, des tuyaux, des marteaux de forges. Rozet, à la demande d’un marchand de fers d’Orléans dénommé Blanchard, se lance dans la fabrication de « vases en fonte pour mettre dans les jardins… du goût le plus nouveau… sans nul défaut à la fonte ». Si l’expérience ne fut commercialement pas concluante, elle n’en demeure pas moins la confirmation d’un savoir-faire local, déjà reconnu au XVIIe siècle par Louis XIV qui fit commander à Tempillon (Rachecourt-Suzémont) 400 contre-cœurs et des tuyaux lors de la construction du château de Versailles. Elle préfigure également un marché qui explosera à partir de 1830, celui de la fonte d’art où les fondeurs haut-marnais excelleront. Pendant la Révolution, l’usine fabrique des boulets et des gueuses. En 1818, 21 ouvriers, 9 minerons, 30 forestiers et 16 transporteurs travaillent à l’usine. |
1820-1885: expansion et diversification avec la fonte d’artEn 1820, Madame de Chateauvieux, fille de François Arnould Cousin de Châtillon, donne l’usine à bail pour 27 ans à Charles Jean Baptiste Le Bachellé, demeurant à Courcelles-sur-Blaise. Celui-ci épousera la fille de Madame de Chateauvieux et deviendra par la suite propriétaire d’un bien industriel encore modeste. Le Bachellé a 35 ans et ne manque ni de projets, ni d’ambition. Très vite, il investit et développe l’usine. En 1827, il installe un wilkinson. En 1828, il sollicite l’autorisation d’établir un second haut-fourneau en face du moulin situé 300 mètres en amont de l’usine. Celle-ci lui sera accordée le 28 avril 1834 par ordonnance signée par Louis-Philippe, roi des Français. Elle sera dénommée usine du haut. L’entreprenant maître de forges n’est pas au bout de ses peines. Le 22 janvier 1835, le conseil municipal de Wassy s’oppose à l’exploitation de ces nouvelles installations au motif que les eaux restituées sont chargées de morées et impropres à tout usage. Le litige sera tranché par le préfet en 1837, qui autorisera Le Bachellé à « conserver et tenir en activité l’ancien bocard à cinq pilons et l’ancien patouillet à une huche, ainsi que le nouveau bocard à dix pilons et le nouveau patouillet à deux huches qui dépendent des usines qu’il possède » et à « établir dans l’enceinte de ses usines un troisième haut-fourneau », sous plusieurs conditions: le creusement de 4 bassins d’épuration pour l’usine du haut et de 3 pour l’usine du bas, ainsi que le chômage des bocards et patouillets du 1er juin au 1er octobre de chaque année. |
Le minerai est également source de luttes entre les maîtres de forges. En 1838, Le Bachellé n’obtient la concession que d’un demi-hectare à Rachecourt-sur-Blaise alors qu’il en demandait le double. Au fil des siècles, les usines de Dommartin exploiteront également les minières du lieu-dit Préquinval situé sur le finage du village, ainsi que celles de Bailly-aux-Forges et Morancourt. L’usine du bas est louée à M. Perron en 1836. En 1840, celui-ci deviendra l’un des associés de la société Danelle, composée de Fidèle, Constant, Joseph Danelle, maître de forges au Buisson, Charles-Antoine Gény, maître de forges à Montreuil-sur-Blaise et Victor Doé, maître de forges à Chamouilley. Un plan déposé aux Archives départementales montre que l’ancien haut-fourneau fonctionne avec une soufflerie classique et le nouveau avec une soufflerie à pistons. Les fusions se font à l’air chaud depuis 1839. |
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La déclaration de faillite intervient en juillet 1890. Hector Baré est le syndic tant de la faillite de la société Le Bachellé et Cie que d’Alexandre Le Bachellé et sa sœur Marie Clémence, veuve du comte Desoffy de Cserneck. Bien qu’ils n’aient plus d’intérêt dans l’affaire, Ferdinand de Chanlaire et sa femme sont impliqués et demandent un complément d’expertise du matériel qu’ils confient à Ernest Bouchenot, industriel à Vaux-sur-Blaise. Le rapport de ce dernier fait apparaître qu’il n’y a plus d’activité dans l’usine du haut et que celle du bas fonctionne avec des ateliers de moulage, d’ajustage, de montage, d’ébarbage. Le document consacre 6 pages à l’inventaire des modèles dont beaucoup sont d’ornement. |
En 1910, ils rachètent à son inventeur le brevet de la fameuse cheminée- cuisinière Maillard qui connaîtra un grand succès et créent un atelier spécifique. Ils produisent également des fontes d’album, des poêles et appareils de chauffage central d’église, des cuisinières, des fontes funéraires et vinicoles.Le catalogue, non daté, accompagnant un tarif 1936 présente, sous 127 rubriques, environ 1000 modèles dans les rubriques chauffage, ménage, fumisterie, assainissement, serrurerie, vases, fontes mécaniques et fontes funéraires. Certaines planches ont été récemment insérées: des cuisinières au décor Art déco, et la pièce d’appui en fonte Fildier qui remplace les seuils de fenêtre en bois et permettent d’évacuer les eaux de pluie avec un revers. Cette pièce parfaitement plate et très précise sera utilisée pendant des décennies lors de la reconstruction ou de l’extension des villes avant et après la seconde guerre mondiale. Les articles de chauffage et de ménage, d’une grande finesse d’exécution, sont émaillés dans un nouvel atelier qui a conservé ses fours. Les décors délicats sont peints à la main par des femmes. |
L’histoire se poursuit avec la sauvegarde du lieu par l’ASPM… | En 1968, deux cubilots de 4,5 tonnes remplacent les anciens. L’année suivante, ils construisent une halle d’expédition. Autour de 1975, ils investissent dans un nouvel atelier et un chantier de moulage, avec pont roulant pneumatique, silo à sable et sablerie afin de mouler au sable furanique (sable mélangé avec une résine chimique autodurcissante). Jusqu’alors, le sable était battu à la pelle et les moules, faits à la main, étaient séchés dans des étuves. 180 ouvriers travaillent dans l’usine. En 1980, ils créent le magasin Les Fontes d’Art de Dommartin pour vendre sur place une partie de la production ornementale. L’entreprise souffre d’une conjoncture morose. Le nouveau réseau commercial n’alimente pas suffisamment l’usine qui reste dépendante de Fildier (50 % de la production) dont les commandes baissent. Le 14 juin 1983, Les Fonderies et Émailleries de Dommartin-le-Franc déposent leur bilan, jetant la consternation parmi la centaine d’ouvriers qui y travaille encore. Pendant deux ans, elles poursuivent leur activité sous redressement judiciaire, mais le dépôt de bilan de Fildier leur donne le coup de grâce. Charles-Étienne et François de Magnienville, avec le syndic, trouvent un repreneur en 1985 en la personne de Monsieur Gutmann, ancien directeur des fonderies de Chevillon qui redémarre l’usine sous l’enseigne Fonderies du Vallage, mais connaît vite des difficultés. En décembre 1987, il dépose son bilan. Le magasin « Les Fontes d’art de Dommartin », ainsi qu’une partie des bâtiments sont alors rachetés par la famille Lang-Ferry. La fonderie passe entre les mains de Bernard Cordier, ancien directeur de la fonderie d’Allichamps, qui tentera de sauver l’affaire, notamment en apportant la fabrication de cadres à piano. |