Décor ailé ; oiseaux de haute et basse cour

Les jardins, qu’ils complètent le château, qu’ils soient urbains, ont toujours fait appel à la statuaire : de pierre, de bronze, de fonte… Les grands jardins antiques comme le parc de Versailles, modèle s’il en est, sont ornés de dieux, de déesses, d’animaux mythologiques ou réels. C’est plus qu’un décor: la statuaire est partie intégrante d’un décor qu’elle anime, même si le mot peut être impropre.
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Les statues font vivre les jardins: malgré leur immobilité, elles donnent une vie à ces espaces hors du bruit et de la fureur. Les jardins ont une fonction qui dépasse la simple utilité de la verdure, du calme, de la promenade. Les jardins sont en fait de deux types: dans les parcs attenants aux châteaux, ils sont la représentation d’un monde décidé par le souverain, le puissant: c’est un agencement voulu, décidé, mis en forme et en ordre par le pouvoir. On est donc dans une symbolique particulièrement active. On comprend mieux alors pourquoi il y a variation dans le temps des formes de parcs de châteaux; le jardin à la française témoigne d’une vision du monde symétrique, ordonnée; tout obéit au grand roi… Même si des bosquets ménagent des échappées pour des conciliabules, des aventures, des égarements de la chair, ils sont voulus en tant que tels.
Le jardin à l’anglaise laisse une part plus belle à l’asymétrie, à la liberté de la nature. Du moins en apparence, car, là aussi, au fond tout est organisé, y compris le désordre. Entre-temps, la vision de l’homme dans la nature a changé: le préromantisme, puis le romantisme sont passés par là: l’homme ne domine plus la nature, il veut s’y fondre.
Les statues sont, dans les deux cas, présentes: dans le premier style, on se réfère à l’Antiquité par des créations qui se modèlent sur les grands sculpteurs antiques: mettre une Vénus, une Diane, un Jupiter, un sphinx, c’est mettre son parc dans le moule antique. Dans le jardin romantique, les dieux ne disparaissent pas, mais changent: plutôt que Jupiter, ce sera Diane chasseresse, plutôt qu’un sphinx, ce sera un cerf, plutôt qu’un aigle impérial, ce sera un chien à l’affût. La chasse est en effet un thème qui devient à la mode, pour une noblesse qui n’a plus la guerre pour justification et qui se rabat sur cette activité qui n’est pas d’emblée un sport, mais une « démonstration » de puissance.

Le parc, espace sacré

Les parcs urbains ont d’autres fonctions: hygiénique bien sûr: un air plus pur… mais symbolique également. Le parc est le prolongement laïque d’un espace sacré d’où on peut s’évader pour méditer; autrefois, les cités antiques avaient souvent des lieux dédiés à une divinité, où le monde d’ici-bas s’effaçait. Le parc urbain prolonge, sans le savoir souvent, cette relation au monde; les statues qui l’ornent sont de deux types: les grands hommes de la cité, qui créent le lien avec le passé, avec sa fondation, ses heures difficiles ou cruciales; des personnages symboliques qui ne sont pas forcément à l’antique, mais qui prolongent un lien avec le monde: les Saisons, les Muses, l’Amour, la Sagesse…
Pierre Grimal souligne la philosophie des jardins japonais: « Le jardin est la matrice de la création, il renferme tous les éléments du monde: la pierre et l’eau, les plantes, les oiseaux, les bêtes, tout ce avec quoi l’âme du sage doit entrer en communion et qui symbolise, selon des correspondances secrètes, chaque aspect, chaque moment de l’âme. » Le parc urbain, même s’il a été pensé par des ingénieurs comme Belgrand, Alphand dans le Paris du XIXe siècle, a échappé, peut-être malgré ses promoteurs, à la fonction utilitariste décidée par Napoléon III. Il retrouve sans l’avoir voulu la fonction de « ressourcement ».

IMG_9032 Les personnages ailés dans ces jardins? Ils sont présents pour autant qu’ils peuvent apporter au jardin public les décors qui accentuent son aspect naturel ou sa fonction anthropologique: qui sommes-nous? D’où venons-nous? Où allons-nous? À ce titre, on trouvera des statues d’oiseaux, de personnages antiques comme Mercure, Cupidon.
L’analyse de l’offre dans les catalogues de fontes d’art montre une relative diversité. S’y ajoutent les sujets mythologiques très prisés: les sphinx qui ont plus une vertu décorative que philosophique, les griffons qui ornent les fontaines… Malgré tout, les ailes ne font que participer à l’ornement: l’inventaire des grands parcs où se trouvent des fontes d’art permet bien de repérer des êtres « aériens »: oiseaux, dieux ailés, statues musiciennes. Mais ce n’est pas la catégorie dominante. Est-ce une question d’offre restreinte? de choix esthétique? Les ailes sont-elles plus « religieuses » avec les anges que profanes? La mythologie qui est le grand réservoir de sujets offre assez peu de personnages ailés: ils sont plus religieux, mythiques que pittoresques. Ceci explique-t-il cela?

Dominique Perchet

Cet article est extrait du numéro 60-61 de la revue Fontes (juillet 2006)

 


 

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