A propos de Winckelmann : de la supériorité du modèle grec

Né en Prusse en 1717, mort assassiné à Trieste en 1768, Winckelmann a publié en 1755 ces pages qui réfléchissent sur le modèle grec, sa perfection et son influence sur l’art de son époque. Pourquoi tant de fascination, tant de révérence pour l’art grec à cette période située entre l’art classique, l’art baroque?


Quels sont les arguments de Winckelmann pour justifier la seule voie offerte aux créateurs, l’imitation des anciens? On peut les sérier et les classer en grandes rubriques.
La belle nature: la beauté grecque est la plus achevée: « un ciel doux et pur influait sur la constitution originelle des Grecs, mais des exercices précoces donnaient aussi à cette première ébauche une forme noble » Ajoutons à cela les compétitions sportives, l’exercice sur la palestre qui donnent « le contour majestueux et viril que les maîtres grecs ont imprimé à leurs statues et qui jamais ne souffre l’enflure ni le superflu ». Cette beauté était en outre valorisée par le vêtement qui ne gênait en rien « le principe actif de la nature » alors que notre habit « nous comprime et nous serre, tout particulièrement à la gorge, aux hanches et aux cuisses. » Et la belle nature se dévoilait pour le plus grand enseignement des artistes: « les éphèbes les plus beaux dansaient dévêtus au théâtre. Sophocle, le grand Sophocle, avait été dans sa jeunesse le premier à offrir ce spectacle à ses concitoyens. Phryné aux jeux d’Éleusis, se baigna nue devant tous les Grecs. À sa sortie de l’eau, elle fut pour les artistes l’archétype de la Vénus Anadyomène »

La noblesse: les Grecs excellent dans l’art d’évoquer le Beau à travers les représentations concrètes des modèles. Ils faisaient rencontrer l’humain et le divin. Si Praxitèle prend sa maîtresse, Cratine, comme modèle pour sculpter la Vénus de Cnide, il passe au-delà de l’humain.

Le sculpteur sait embellir en allégeant: pas trop de plis aux vêtements, comme à la peau. Pas de bourrelets, mais des fossettes, alors que les artistes du XVIIIe siècle, sont trop réalistes: « Mille petits signes de la sorte distinguent encore les œuvres modernes des œuvres grecques. Les fossettes, trop nombreuses, y sont trop visibles. À l’inverse, lorsqu’on en trouve dans les œuvres des Anciens, elles sont légèrement esquissées en vertu d’une savante parcimonie… »
• Troisième supériorité, après la belle nature et la noblesse: l’art du drapé: « le beau contour de la nudité n’est point dissimulé: il se manifeste librement ».

Quatrièmement, « la noble simplicité jointe à la grandeur tranquille »: l’antique est, même dans la douleur, une « âme grande et toujours égale ». L’exemple cité est le groupe du Laocoon: « la douleur du corps et la grandeur d’âme tiennent entre elles balance égale dans toute l’architecture de la statue. » Le marbre exprime toute la force morale du sujet alors que les modernes renchérissent dans le pathos, l’expression des sentiments au détriment de la Beauté. Le grand art demande du temps pour séduire alors que l’art maniéré nous impressionne vite, mais au détriment de la profondeur…

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L’Apollon du Belvédère : un modèle à imiter

 

Ces études permettent à Winckelmann d’exposer la supériorité de l’art antique sur celui de toutes les autres époques. Pour lui, il faut que les artistes modernes, puisqu’ils n’ont pas eu la chance de naître à Athènes ou à Rome, s’inspirent des œuvres qui en sont issues aux bonnes époques et même les imiter. Il écrit en effet: « le seul moyen que nous ayons d’être grands, voire inimitables si c’est possible, est d’imiter les Anciens […] ».

Beauté et beauté…
Pour Winckelmann, la grandeur des œuvres antiques vient de la grâce qui permet de « s’élever aux idées abstraites et sublimes de la beauté ». C’est donc un concept platonicien (qui différencie la beauté telle que nous pouvons la voir de la Beauté, l’Idée, le modèle inaccessible, mais qui doit nous guider)
Il s’oppose à l’art dicté par « le feu des passions et de l’imagination », c’est-à-dire l’art aux formes telles qu’elles se voient dans le Maniérisme, bien entendu, mais aussi dans le Baroque et dans le Rococo, l’art de son époque. Il annonce le retour au classicisme qui va envahir l’art entre le milieu du XVIII° siècle et les années 1830.
Les sculptures de Michel-Ange et du Bernin sont critiquées car trop passionnées, éloignées de l’apaisement et de l’équilibre qui sied à la beauté: celle-ci serait proche de ce qu’en décrit Baudelaire: « ordre et beauté, luxe, calme et volupté ». Raphaël est digne d’éloge car il se rapproche de cet idéal de paix intérieure ouvrant sur un univers de perfection.
Winckelmann publie son étude dans le même temps que Diderot se lance dans la critique d’art avec les Salons (à partir de 1759). Leurs conceptions sont assez différentes. L’un est classique, tourné vers un passé idéalisé, l’autre est « moderne »; tous deux se rejoignent en partie sur l’importance de l’art dans la morale et le développement du goût.

Dominique Perchet

Cet auteur est redevenu d’actualité: il est des grands théoriciens de l’art européen. Il a travaillé sur les œuvres, les styles, les attributions; sa pensée s’inscrit dans le grand renouveau de la critique archéologique et artistique (voir page 43 de la revue Fontes)

Extrait de la revue Fontes n° 66-67 parue en juillet 2007/

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