Avec l’aide de l’Etat, ArcelorMittal verdit sa production d’acier
Le numéro un de la sidérurgie va fermer trois hauts-fourneaux et les remplacer par des fours électriques et des techniques de réduction du fer à base d’hydrogène.
C’est un tournant considérable, qui valait bien le déplacement d’un premier ministre. Le sidérurgiste ArcelorMittal a annoncé, jeudi 3 février, qu’il allait investir 1,7 milliard d’euros pour décarboner en partie ses sites de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) et de Dunkerque (Nord), où Jean Castex s’est rendu vendredi. Le numéro un mondial de l’acier fermera trois hauts-fourneaux utilisant le charbon (sur cinq) pour les remplacer, à partir de 2027, par des fours électriques et des techniques de réduction du fer à base d’hydrogène, « tout en maintenant ses capacités de production ».
En juillet 2021, ArcelorMittal avait annoncé qu’il consacrerait 10 milliards de dollars (8,7 milliards d’euros) pour réduire de 35 % ses émissions d’ici à 2030 en Europe et de 25 % dans le monde. Après le Canada, la Belgique et l’Espagne, c’est au tour des sites français de s’inscrire dans cette trajectoire. L’Etat accompagnera le groupe de la famille Mittal dans le cadre du plan d’investissements d’avenir France 2030 doté de 34 milliards d’euros. Matignon a annoncé que 5,6 milliards seront consacrés à aider les trois secteurs émettant le plus de CO2 à verdir leur production : l’acier-aluminium, la chimie et le ciment.
A Dunkerque, le plus grand site sidérurgique du Vieux Continent, ArcelorMittal construira une nouvelle unité dite « de réduction directe » d’une capacité de 2,5 millions de tonnes, pour transformer le minerai de fer avec de l’hydrogène remplaçant le charbon, couplée à un four électrique innovant. Il a aussi dévoilé son projet Reuze de production de carburants de synthèse à partir de CO2 et d’hydrogène, contribuant ainsi à la décarbonation des transports. A Fos-sur-Mer, un four électrique complétera le « four poche » annoncé en mars 2021 et soutenu par des capitaux du plan France Relance. Le groupe veut en faire « un site de référence pour la production à partir d’acier recyclé ».
Ces opérations sur deux sites se traduiront par une baisse de 10 % des gaz à effet de serre de l’industrie française
Ces opérations sur deux sites produisant plus d’un tiers des aciers plats d’ArcelorMittal en Europe se traduiront par une baisse de 10 % des gaz à effet de serre de l’industrie française, qui représente elle-même 18 % du total des émissions du pays. En outre, l’entreprise promet qu’à terme un kilogramme d’acier produit en France contiendra jusqu’à 25 % d’acier recyclé.
« La France a deux atouts essentiels pour produire l’acier le moins cher et le plus vert du monde, souligne Marcel Genet, expert de la sidérurgie et patron du cabinet Laplace Conseil : la mine que constitue la ferraille recyclable, et une électricité décarbonée grâce au nucléaire. » Pour l’heure, constate-t-il, « on collecte 8 millions de tonnes de ferraille par an, mais on n’en réutilise que 4 millions dans l’Hexagone, l’autre moitié partant surtout vers les aciéries turques ».
Les fours et l’hydrogène, qui sera produit dans le cadre d’un contrat avec Air liquide, nécessitent de gros volumes d’électricité, et ce vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Leur développement plaide, selon M. Genet, pour la relance du nucléaire. Le site de Dunkerque, qui dispose des six réacteurs de Gravelines mis en service entre 1980 et 1985, accueillera deux EPR si l’Etat décide de relancer la filière ; celui de Fos-sur-Mer peut être alimenté par les centrales de la vallée du Rhône et les barrages hydroélectriques des Alpes à des prix également très compétitifs.
La neutralité carbone en 2050
Moins de charbon, plus de recyclage et la séquestration-réutilisation du CO2résiduel des deux hauts-fourneaux maintenus doivent permettre à ArcelorMittal France d’atteindre son objectif : la neutralité carbone en 2050. C’est dans cette perspective qu’il a conclu avec l’Etat un « partenariat stratégique ». Il est soumis à l’accord de la Commission européenne, attendu d’ici au deuxième trimestre.
Le groupe est resté vague sur l’impact social de ces opérations, les plus coûteuses depuis la création des deux complexes industriels. Il prévoit de « faire évoluer » les compétences des salariés vers les techniques nouvelles, tout en évoquant les emplois générés dans le Dunkerquois et la région de Fos par la transition énergétique (hydrogène, électricité décarbonée…) au cours des prochaines années.
A la veille de l’élection présidentielle, le maintien des emplois est l’objet de toutes les attentions. Le monde de la sidérurgie a la mémoire longue. Personne n’a oublié la fermeture des hauts-fourneaux d’ArcelorMittal à Florange (Moselle), en avril 2013, malgré les promesses du candidat François Hollande un an plus tôt. Même si le site a été reconverti, des centaines d’emplois ont disparu, et le nom de Florange est encore associé à celui de mort de l’industrie.