Revue de presse : le Monde : l’Arc Majeur de Bernar Venet est en Belgique

« Ce serait formidable, une route qui passerait là-dedans… », ou comment la plus grande sculpture d’Europe a échappé à la France

[Voir aussi le site web http://www.arcmajeur.com]

Le plasticien Bernar Venet explique comment son « Arc majeur » a fini par être inauguré en Belgique après trente ans d’atermoiements et de refus en France.

Propos recueillis par Publié le 12 janvier 2020   

« L’Arc majeur » près de Rochefort, dans la province de Namur.
« L’Arc majeur » près de Rochefort, dans la province de Namur. CHARLES PAULICEVICH/META-MORPHOSIS

 (extraits) Attention, si vous empruntez l’autoroute qui relie Bruxelles au Luxembourg, vous allez passer dans un trou. Il est situé à environ 120 kilomètres de la capitale belge, mais il n’y a rien à faire pour l’éviter ! Et pour cause : c’est, depuis son inauguration en octobre 2019, la plus grande sculpture d’Europe, battant le record jusque-là détenu par l’Italo-Argentin Francesco Marino di Teana (1920-2012), avec  Liberté,  installée à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), qui culmine à 21 mètres de haut. Là, on arrive à 60 mètres, et 75 mètres de portée…

Son auteur, le Français Bernar Venet, né en 1941, l’a baptisé l’Arc majeur. C’est un segment de cercle, un arc de 205,5°, qui jaillit de part et d’autre de l’autoroute. On passe donc, littéralement, dans un trou, dessiné dans l’espace au sommet d’une colline par 200 tonnes d’acier corten. Imaginé au début des années 1980 pour l’autoroute A6, en France, le projet a connu bien des vicissitudes.

(…)

Plus de trente ans pour qu’il voie le jour, et que cela advienne en Belgique, cela augure mal du pouvoir d’un ministre !

C’est en effet une longue histoire : elle a débuté en 1979, quand j’ai commencé à faire des sculptures en forme d’arc de cercle. A l’époque, des maquettes, toutes petites. Et je les regardais en me disant : ce serait formidable, une route qui passerait là-dedans… En 1982, j’ai esquissé un projet en ce sens, d’abord une ligne droite, puis un arc, que j’imaginais situé au bord de l’autoroute qui va de Paris à Chartres. Juste des croquis, et un photomontage.

Mais en 1984, Jack Lang, alors ministre de la culture, a demandé aux artistes de réfléchir à ce qui, précisément, pourrait être fait au bord des autoroutes.

Donc ?

Donc ça n’avance pas. L’emplacement prévu était au niveau d’Auxerre-Nord, en Bourgogne. Un jour, un ami passe les fêtes de Noël avec Jean-Pierre Soisson, qui était député-maire d’Auxerre avant d’être président de la région, mais aussi « ministre d’ouverture » du gouvernement Rocard. Il lui demande des nouvelles de l’Arc, à quoi Soisson répond : « On ne le verra jamais ! Je ne veux pas que ça se fasse, ça ne se fera pas. »

Article réservé à nos abonEt ça ne s’est pas fait. Ensuite ?

Dix ans plus tard, j’ai un appel du président des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, qui veut réaliser le projet. Il avait le budget, il avait l’emplacement – Auxerre-Sud, cette fois – et il voulait faire passer l’Arc réellement sous l’autoroute – en fait, chaque arc est indépendant, implanté dans des fondations de béton – mais là, il pensait qu’on pouvait le prolonger en un tunnel qui relierait deux aires de services, situées de part et d’autre des voies. Il avait déjà constitué une équipe d’ingénieurs, dont le bureau d’études Greisch de Liège, qui a travaillé sur le viaduc de Millau.

Tout se passait bien jusqu’à ce qu’on m’annonce que le président voulait que je peigne la sculpture en rouge vif ! J’ai cru que c’était une blague, mais non… Le président aimait le rouge. Il me l’a dit lui-même : « Regardez, mon porte-monnaie est rouge ! » Sa sacoche, son fauteuil, et même le sigle de sa société étaient rouges. Je lui ai dit que je ne pouvais pas, que la couleur de ma sculpture, c’était celle de l’acier corten. Il m’a dit : « Mais je suis le commanditaire ! » J’ai répondu : « Je suis l’artiste… » (…) Et nous en sommes restés là.

Combien de temps ?

(…) Cinq ans. A ce moment, Bernard Serin, qui dirige la société John Cockerill, laquelle fabrique entre autres de l’acier et avec qui j’ai collaboré pour des œuvres, dont une sculpture monumentale à Séoul, me dit qu’il est prêt à la financer et qu’on pourrait l’implanter près de Metz. Rendez-vous est pris avec le président de région…

Laissez-moi deviner…

(…) Il était effrayé par le coût, pas tant monétaire, puisque ça ne faisait pas appel à l’argent public, mais politique. La réaction de la population, avant des élections qui approchaient. J’ai eu beau plaider que ce serait un hommage aux ouvriers de la sidérurgie lorraine, et une opportunité – L’Arc majeur a représenté 6 500 heures de travail pour les soudeurs et monteurs –, il a refusé le projet.

D’où la Belgique ?

(…)  J’adore les Belges ! Ils m’ont toujours collectionné, beaucoup soutenu. Le problème, c’est leurs autoroutes : à 95 %, il y a des lampadaires au milieu. Alors j’ai pris une voiture, et j’ai sillonné le pays jusqu’à trouver un endroit où il n’y en a pas. C’est près de Rochefort, dans la province de Namur, et c’est la plus grande sculpture du monde, si on mesure la statue de la Liberté sans son socle. On a pris rendez-vous avec le ministre de la région wallonne, où elle est désormais située. Lui n’a mis qu’une semaine à prendre sa décision.


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