Cinq forges séculaires du Burkina classées au patrimoine mondial de l’Unesco
Reportage à Nimpoui, dans le centre du pays, où un fourneau de plus de six siècles fait la fierté des habitants du village.
Longtemps, les terres de Nimpoui ont caché un trésor. Perché au sommet d’une colline rouge, dissimulé entre les acacias d’une forêt où se baladerait un python sacré selon la légende, s’érige un vestige métallurgique très ancien du Burkina Faso. « Nous n’avions pas réalisé la valeur de ce site avant que des chercheurs ne commencent leurs fouilles il y a quelques années », regrette le roi du village Sibiri Ouedraogo, en posant la paume de sa main sur la paroi d’un grand dôme en terre cuite, abîmé par l’épreuve du temps et de la vie humaine.
Il y a plus de six siècles, ce fourneau de 2,10 mètres de haut était utilisé pour fabriquer du fer. « On le remplissait de minerais de latérite et de charbon, il fallait attendre plus d’une dizaine d’heures à haute température avant d’obtenir une loupe de fer », explique un forgeron de Nimpoui, situé dans la région du Centre-Nord, à 60 km de la capitale. Dans le four, où le mercure dépassait les 1 000 °C, une réaction chimique libérait alors les particules de fer de la roche. Sous ses pieds, une multitude de scories noires – les résidus issus de la fusion – tapissent encore le sol, preuve de l’activité métallurgique intense qui se déroulait ici il y a des centaines d’années.
Grande victoire pour le continent, l’Etat burkinabé vient d’obtenir, vendredi 5 juillet, l’inscription de cinq de ses sites de métallurgie ancienne au patrimoine mondial de l’Unesco. Seul pays africain en lice cette année, le Burkina a été choisi par le Comité du patrimoine mondial, réuni jusqu’au 10 juillet à Bakou, en Azerbaïdjan pour sa 43esession.
Cette inscription va permettre « de mettre la lumière sur la richesse culturelle burkinabée, au moment où notre pays est considéré comme infréquentable à cause de l’insécurité, et cela nous aiderait à protéger ces biens fragiles et menacés de dégradation », soutient Léonce Ki, le directeur des sites classés patrimoine mondial du Burkina Faso, qui compte deux sites distingués par l’Unesco, les ruines de Loropéni et la réserve naturelle d’Arly.
Mystère
« On a grandi avec ces ruines en se demandant ce que c’était. On sait seulement que pendant les guerres ethniques nos ancêtres s’étaient réfugiés sur cette colline et avaient cohabité un temps avec des familles de forgerons, qui sont ensuite reparties et ont laissé ces fours derrière eux », raconte Sibiri Ouedraogo, en boubou traditionnel et chapeau coloré des chefs coutumiers sur la tête. Depuis la découverte du site dans les années 1980 par le professeur Jean-Baptiste Kiéthéga, l’un des premiers archéologues d’Afrique de l’Ouest, ces mystérieuses constructions fascinent les spécialistes du pays.
Sur ce site, « les premiers fourneaux dateraient des XIIIe et XIVe siècle, ils auraient été bâtis par les Ninsi, un peuple de métallurgistes qui fabriquaient des armes, tels que des couteaux et des pointes de flèche, des outils et des bijoux, mais beaucoup de choses nous échappent encore », indique Elise F. Thiombiano Ilboudo, qui a participé en 2011 aux premières fouilles sur le site comptant deux hauts fourneaux et plusieurs bases d’anciennes structures. « Ils ont été conservés grâce à leurs parois en terre cuite très épaisses. Après chaque utilisation, les hommes repassaient une couche d’argile sur les murs pour les renforcer », poursuit l’archéologue.
Anciennes mines d’extraction de minerai, ateliers de réduction, déchets de fer, plus d’un millier de sites métallurgiques auraient été recensés au Burkina Faso, où l’un des plus anciens fourneaux d’Afrique de l’Ouest a été enregistré. Celui du village de Douroula, dans le nord-ouest du pays, remonte, selon les experts, au VIIIe siècle avant notre ère.
Au Burkina, comme sur le reste du continent africain, la métallurgie est un savoir-faire millénaire, qui continue de se transmettre de génération en génération dans la plupart des villages. Si, depuis la période coloniale, la fabrication du fer, longue et fastidieuse, a peu à peu été remplacée par la récupération des métaux, des pièces automobiles par exemple, les techniques ancestrales de la transformation, elles, perdurent.
Ce matin-là, au village de Nimpoui, le bruit métallique du marteau et de l’enclume résonne. Assis sur un petit tabouret, devant sa case au toit de chaume, Jacques Bamogo peaufine une daba, la pioche traditionnelle utilisée pour labourer la terre. « Dans la famille, nous sommes forgerons de père en fils, à 6 ans j’activais déjà le feu avec un soufflet, à 12 ans je fabriquais mes premiers couteaux, j’ai ça dans le sang », glisse cet artisan qui forme maintenant ses deux fils de 11 et 8 ans. « Je leur apprends ce métier, mais ils seront libres de choisir ce qu’ils veulent faire plus tard », précise-t-il. Traditionnellement, le forgeron, « maître du feu et du fer », occupe une place centrale dans les sociétés. « On m’appelle pour jouer le rôle de médiateur dans les conflits, pour soigner certaines maladies et pour aller désenvoûter un lieu touché par la foudre », explique Jacques Bamogo.
« Cet artisan avait une fonction capitale, sans lui les habitants ne pouvaient ni chasser ni pêcher, on lui confère des pouvoirs mystiques aussi, il reste très respecté et craint », souligne Lassina Koté, docteur en archéologie et en préhistoire africaine. Aujourd’hui encore, ce métier séduit les jeunes, et même de plus en plus, attirés par la perspective d’un emploi rémunérateur. Dans les villages et les villes du pays, les ateliers de forge se sont multipliés. On y fabrique des marmites, des portes ou encore du mobilier.
« L’Afrique sous-représentée »
Dans la forêt de Nimpoui, où les femmes viennent couper du bois de chauffe, la nature a depuis longtemps repris ses droits. Un des fourneaux a même été fissuré par les racines d’un arbre voisin et un des pans de la paroi s’est effondré. « A chaque saison, les jeunes viennent arracher les nouvelles pousses autour des structures, et depuis que l’on a sensibilisé les habitants et dit aux enfants que des génies vivaient ici, tout le monde fait plus attention ! », se réjouit le chef qui espère un jour accueillir des touristes chez lui. « Ce serait une fierté que le nom de notre village soit connu du monde entier, et cela donnerait du travail aux habitants qui vivent difficilement des cultures et de l’élevage ou préfèrent partir à l’orpaillage. Les jeunes pourraient devenir guides par exemple », propose Sibiri Ouedraogo.
Désormais, les cinq sites burkinabés viennent s’ajouter aux 95 sites africains inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Ce qui porte à moins de 10 % de l’ensemble (1 092) : « L’Afrique est le berceau de l’humanité, mais elle reste sous-représentée, nous avons encore des terra incognita scientifiques sur le continent, notre sol est très riche pourtant et il reste beaucoup de choses à découvrir », martèle Lassina Koté. Les terres de feu du Burkina Faso n’ont pas fini de livrer leurs secrets.