Revue de presse : Le Monde 29 janvier 2022
A 150 ans, la fontaine Wallace entre au musée
L’édicule situé place Denfert-Rochereau sera déplacé au printemps dans les jardins du musée Carnavalet, établissement consacré à l’histoire de Paris. Par Denis Cosnard
Un vendredi de mars 2019, un vent de panique souffle sur les réseaux sociaux. A en croire les internautes, la Mairie de Paris a décidé de remplacer par des équipements modernes les traditionnelles fontaines Wallace, ces édicules rafraîchissants devenus l’une des signatures de la capitale. Emballement. Tollé. En quelques heures, l’affaire, née d’un article au titre ambigu, suscite une vague d’indignation et plusieurs pétitions. Le démenti tardif de la Mairie met des semaines à calmer le jeu.
Les amoureux du patrimoine parisien peuvent être rassurés. Non seulement la maire (PS), Anne Hidalgo, n’avait jamais eu l’intention de faire disparaître les fontaines Wallace. Mais la Mairie va faire entrer au musée ces petits monuments auxquels les Parisiens et les touristes sont si attachés. Une consécration. Une authentique fontaine Wallace sera implantée au printemps dans les jardins de Carnavalet (3e), le Musée de l’histoire de Paris que la Ville a récemment rénové de fond en comble. Une copie sera installée à son emplacement actuel, place Denfert-Rochereau (14e arrondissement). Une exposition décrivant l’histoire de ces fontaines sera en outre affichée aux Champs-Elysées, du 24 septembre au 4 octobre, en même temps que sera organisé « un week-end de festivités » autour de ce thème.
Alors que les opposants réunis sous le hashtag #saccageparis ne cessent de critiquer les choix esthétiques de la ville, et accusent la Mairie de « laisser mourir »les fameuses fontaines, les socialistes au pouvoir dans la capitale envoient ainsi un signal supplémentaire de leur volonté de respecter l’héritage de Napoléon III. Au-delà des fontaines Wallace, ils vont « recenser et protéger l’ensemble du mobilier Second Empire », des bancs Davioud aux colonnes Morris en passant par les candélabres, a promis Emmanuel Grégoire, le premier adjoint d’Anne Hidalgo, le 18 janvier. Le prochain plan local d’urbanisme devrait permettre de renforcer les règles en la matière.
Pour les fontaines Wallace, le calendrier offre une occasion parfaite de célébration : la première a été installée à Paris le 30 juillet 1872, il y a bientôt cent cinquante ans. Ce mardi-là, une foule de curieux se presse à l’entrée du boulevard de La Villette pour découvrir la nouvelle fontaine en fonte. Un piédestal ornementé supporte un petit bassin. Au-dessus, quatre caryatides représentent à la fois les saisons et des vertus alors jugées cardinales : la bonté, la simplicité, la charité, la sobriété. Ces statuettes tiennent un dôme d’où s’écoule un filet d’eau. Un gobelet d’étain, accroché à la fontaine, permet à chacun de s’abreuver. Le succès est immédiat.
Sur ses 335 fontaines d’eau potable, la capitale en compte aujourd’hui 105 relevant d’un des modèles Wallace
A l’origine de cette fontaine et de la cinquantaine d’autres qui jaillissent en quelques mois à travers Paris, un Britannique : Sir Richard Wallace (1818-1890). L’un des hommes les plus riches de son temps. Il a hérité, deux ans plus tôt, de l’immense fortune de Lord Hertford IV (1800-1870), dont il était le secrétaire, le bras droit, et sans doute le fils illégitime – à moins qu’il ne s’agisse d’une habile captation réalisée par un homme endetté et sans scrupule, comme l’affirme Lydie Perreau, historienne d’art et descendante d’une filleule de Lord Hertford, dans La Fortune de Richard Wallace (JC Lattès, 2009).
Aide aux plus démunis
Avec tout cet argent, Richard Wallace se montre généreux à l’égard de Paris, la ville où il passe l’essentiel de son temps. Durant la guerre avec la Prusse, il fournit des vivres et du bois aux Parisiens assiégés, apporte de l’aide aux plus démunis, finance la construction d’un hôpital. Puis, s’inspirant des drinking fountains de Londres, il conçoit et fait construire ces fontaines. Le dessin est réalisé par le sculpteur nantais Charles-Auguste Lebourg, la fabrication assurée par la Fonderies du Val d’Osne (Haute-Marne), et la Ville de Paris n’a plus qu’à choisir les emplacements et effectuer la pose.
L’objectif consiste à parsemer Paris de monuments élégants, mais avant tout à donner de l’eau à ceux qui en manquent. « Avec toutes les destructions, notamment celle d’aqueducs, Paris souffrait alors d’une pénurie d’eau portable », souligne Marie Aynié, secrétaire générale du comité d’histoire de la Ville de Paris. Le prix de cette ressource précieuse avait beaucoup monté.
Sur ses 335 fontaines d’eau potable, la capitale en compte aujourd’hui 105 relevant d’un des modèles Wallace. « Sur ce total, vingt-trois se trouvent encore à leur emplacement d’origine, et deux sont protégées au titre des monuments historiques, sur l’île de la Cité », précise Barbara Lambesis, l’Américaine qui préside la Société des fontaines Wallace. Quelques-unes, peintes d’une couleur vive, dérogent, dans le 13e arrondissement, au vert profond du mobilier urbain habituel. Une innovation décriée par la droite. « Cela met un peu de pop art dans la ville », se réjouit au contraire Karen Taïeb, l’adjointe socialiste chargée du patrimoine. Les fontaines Wallace ont aussi essaimé ailleurs en France et dans le monde, jusqu’à Los Angeles et Maputo (Mozambique).
Au-delà de cet anniversaire célébré avec faste, la Mairie compte restaurer plusieurs fontaines parisiennes majeures, délaissées depuis des années. La fontaine Molière, réalisée par Louis Visconti en 1844, près du Palais-Royal, devrait être rénovée entre mars et juin. La fontaine Stravinsky, célèbre pour les sculptures de Niki de Saint Phalle et de Jean Tinguely, juste à côté du Centre Pompidou, doit également bénéficier d’une nouvelle jeunesse, près de quarante ans après son inauguration. De premiers travaux sont enfin prévus pour la célèbre fontaine des Innocents, aux Halles. Le chantier, différé à maintes reprises, ne devrait toutefois pas être achevé avant l’été 2024.