Revue de presse : La Voix de la Haute-Marne – Patrimoine : est-ce qu’on en fait trop ?

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CULTURE • Vendredi 16 septembre 2016 à 8h58

Patrimoine : est-ce qu’on en fait trop ?

C’est un peu l’avis du sociologue haut-marnais Henri-Pierre Jeudy. Tout devient patrimoine, tout et n’importe quoi. Entretien.

Voix de la Haute-Marne : Comment expliquer cet engouement autour du patrimoine ?
Henri-Pierre Jeudy : Cela devient une obsession… On peut y voir une certaine forme d’exhibition de ce qui peut être “patrimonialisable”. Aujourd’hui, tout peut être patrimonialisé, tout le monde se prête au jeu, même celui qui veut montrer sa demeure, rendre visible des objets qui sont pourtant finis et voués à la disparition. C’est aussi une forme de narcissisme collectif qu’on retrouve dans le plaisir de conserver, une forme de lutte aussi contre les angoisses liées à la mort, au dépérissement, à la fin des choses. En même temps, c’est une négation du futur quand le passé fait l’objet d’une conservation outrancière. Comment penser l’avenir quand ce passé devient notre présent.

Une confusion des Temps ?
Cette impossibilité d’envisager l’avenir, c’est un refuge qu’on veut actualiser pour faire semblant de faire présent. On restructure le présent sur le passé car les incertitudes du futur sont trop importantes. Cela conjure l’angoisse, la morosité, puisqu’en plus on y met un aspect festif.

Quel est le rapport du patrimoine au politique ?
Le patrimoine, politiquement, c’est fantastique ! C’est un consensus uniforme, personne ne s’inscrit contre le patrimoine, cela dépasse tous les conflits. On peut se demander, si ce n’est pas la mort du politique, de la démocratie, qui elle suppose la différence, le dissensus, la contradiction et ses différentes expressions.

Mais le patrimoine, n’est-ce pas aussi une forme de devoir de mémoire ?
Le problème, c’est que le devoir de mémoire s’applique à tout et n’importe quoi, il met tout sur le même plan. On assiste aujourd’hui à une mise en scène de l’exaltation patrimoniale. Ce qui est l’inverse de la notion de ruines. Les ruines ne sont pas “restaurables” et c’est pour cela qu’elles fascinent, elles sont plus vivantes que mortes quand on n’y touche pas.

Comment expliquez-vous cet engouement en Haute-Marne pour le patrimoine ?
C’est effectivement particulier à la Haute-Marne qui se dépeuple à une telle vitesse. La pauvreté, les déchets nucléaires, la démographie, le chômage…, cela n’ouvre pas un avenir formidable. Le passé devient un refuge davantage ici qu’ailleurs. On devrait se rendre compte de la beauté de la dégradation comme au Paradis à Sommevoire par exemple. On a voulu en faire un musée, et ils ont refusé. Toute la puissance symbolique du Paradis tient au rassemblement des modèles ; un rassemblement, dans un désordre, et qui reste fascinant.

Propos recueillis par
Bertrand PUYSSEGUR

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