La foule s’éclaircit aujourd’hui autour des monuments aux morts. Les anciens combattants sont de moins en moins nombreux, mais le monument qui devait préserver de l’oubli semble aussi disparaître : on ne le voit plus, on ne l’entretient plus guère. Il faut s’en inquiéter…
« Une république qui ne s’enseigne ni se célèbre est une république morte, c’est-à-dire une République pour laquelle on ne meurt plus », dit A. Prost, spécialiste de l’enseignement, de l’éducation. Il nous rappelle les précédents de 1940 et de 1958 où les Républiques sont mortes dans l’indifférence générale.
Mais il craint tout autant que l’oubli, une célébration factice, qui n’aurait plus de sens pour l’avenir, sans rime ni raison.
Bruno Frappat, dans le Monde de novembre 1991, écrit : «… La France verse sur eux (les anciens combattants) trois larmes puis s’en vont les anciens combattants vers leur maison de retraite… Il restera bientôt, non plus le souvenir, mais le souvenir des souvenirs… Il faut entretenir la mémoire des horreurs. Il faut une pédagogie du souvenir, des sentiments, des frayeurs, et des joies. Sans quoi, la leçon des erreurs collectives, l’enseignement tiré des monstruosités de ce siècle, ne servirait plus qu’à quelques spécialistes, à des érudits et laisserait le champ libre à la ténacité de l’ignominie. »
Il nous faut donc retourner vers ces quelques mètres carrés de mémoire qui sont peu à peu ignorés, transparents. Réapprendre à les lire, les comprendre. C’est un exercice pédagogique pour les enfants comme pour les adultes. Il y a urgence à une époque très fin de siècle où les valeurs défendues à son début sont malmenées un peu partout dans le monde et près de chez nous.
Il faut savoir entretenir les statues, les stèles : à force de mettre des couches de peinture sur les poilus, ils perdent tout relief, comme ils s’estompent dans notre souvenir. Nous avons besoin d’aspérité dans la mémoire comme sur la fonte. Un ravalement généralisé serait souvent indispensable.
Il faut savoir honorer les morts. Que les monuments soient beaux ou non, pompiers ou pas, importe peu. Ce qui compte, c’est leur genèse, leur histoire qui est notre Histoire. Ces Poilus triomphants ou navrés sont hors de tout champ esthétique parce que la Grande Guerre n’était pas en dentelle, mais dans l’horreur née de l’intolérance, des luttes de pouvoir, d’idées qui ne devraient plus avoir cours, démonétisées à l’heure de l’euro.
Beaucoup en sont persuadés. Mais concrètement, qui voit encore le monument, qui répond « Mort pour la France ? »
Dominique Perchet
Article extrait du numéro de Fontes 31-32 paru en 1998