M = Marnois

Cette page  complète l’article de Philippe Delorme paru dans Fontes n° 72 – avril 2009. Elle permet d’accéder à des illustrations différentes, ou les mêmes en couleurs : elle propose des liens Web vers d’autres sites. Le texte en est donc forcément allégé et nous vous invitons à en découvrir la totalité dans notre revue.

CHARPENTIERS DE BATEAUX ET BRELLEURS EN HAUTE-MARNE  AU TEMPS DE LA NAVIGATION EN RIVIERE

 Philippe Delorme, professeur agrégé, docteur en histoire

L’activité marinière commence à Saint-Dizier (Haute-Marne) à la fin du Moyen-Age avec la voiture par eaux des bois (construction et chauffage), des fontes et fers, et également des pierres de construction vers les villes situées sur la Marne à quelques dizaines de kilomètres en aval comme Vitry-le-François et Châlons-en-Champagne.
Au 16e siècle, ce trafic gagne la ville de Paris, notamment après la crise de 1515 où la pénurie du bois de chauffage se fait durement ressentir. A la même époque, l’augmentation de la population parisienne provoque de nouveaux besoins en fers, bois de construction et denrées alimentaires. Le Bureau de la Ville de Paris s’emploie alors à étendre son aire de ramassage. La solution la moins coûteuse consiste à se diriger vers l’amont de la Seine, de l’Aube, de l’Oise et de la Marne. Dans ce cas en effet, les marchandises profiteront du courant descendant et gratuit des cours d’eau. Au contraire, en s’approvisionnant dans les forêts ou les hauts-fourneaux de Normandie, il faudra remonter le courant de la Seine et acquitter le prix élevé du halage.


Tête de pont de la navigation sur la Marne, entourée de vastes forêts abondamment pourvues en chênes et procurant grâce au bois de charme le charbon de bois nécessaire aux usines produisant la fonte et le fer, établie à l’endroit où la pente de la rivière se fait plus douce, la ville de Saint-Dizier abrite plusieurs chantiers, aires de stockage de marchandises et ports d’embarquement à destination de Paris. Tout près, les villages de Valcourt, Moëslains et Hoëricourt, se livrent aux mêmes activités, faisant vivre toute une population d’empileurs, brelleurs, voituriers par eau, maîtres-mariniers, entrepreneurs de flottage, compagnons de rivière, flotteurs, charpentiers et constructeurs de bateaux, sans compter les marchands de bois, charpentiers de Marine, commissionnaires en fonte, fer et bois.
Les chênes des forêts des environs de Saint-Dizier et les sapins des Vosges, affluent vers les ports de la Haute-Marne et du Barrois (sud-ouest du département actuel de la Meuse) sous forme de bois de charpente, de sciages ou de bois de chauffage. Pour la plupart, ils sont flottés vers Paris en trains de bois, appelés brelles. La confection de ces sortes de radeaux naviguant en convoi est l’affaire d’une douzaine de chantiers installés St-Dizier, Valcourt, Moëslains, Pargny-sur-Saulx et Bar-sur-Ornain (Bar-le-Duc). Sous la direction des maîtres-mariniers, les brelleurs assemblent les bois carrés et les sciages, tout près de l’eau et à même la berge. Une équipe peut construire une vingtaine de ces trains de bois par an, chaque train nécessitant un travail d’environ deux semaines.
Destinés à transporter des blés, des fers, des vins et même du bois sec de chauffage, les bateaux de rivière réalisés en Haute-Marne sont communément appelés marnois et circulent principalement sur la Marne et à Paris. Leur aspect, assez banal, anguleux et géométrique, les fait ressembler à de grandes et massives barques de pêche à fond plat. Pour les clients et les charpentiers, l’essentiel est de faire simple et économique en se conformant à des normes bien établies et en appliquant des procédés faisant penser à ceux d’une fabrication standardisée. Les dimensions, presque toujours les mêmes, répondent aux demandes formulées par les clients et spécifiées dans les contrats passés devant notaire, les longueurs allant de 14 à 40 mètres, les prix pouvant atteindre ceux d’une maison. A côté des marnois, les chantiers de Haute-Marne construisent des bateaux destinés à la navigation sur la basse Seine et l’Oise, appelés foncets, flutes ou mullets, atteignant souvent 40 mètres de long, ainsi que des lavandières, embarcations restant amarrées au rivage et accueillant les femmes du voisinage venant laver leur linge. Au total, cela représente 300 à 400 unités par an.
Profitant de l’arrivée du chemin de fer dans les années 1850, les hauts-fourneaux et les forges expédient de plus en plus leurs fontes et fers sur wagons au détriment de la navigation en rivière, les clients étant assurés de recevoir leurs commandes au plus vite et dans les délais impartis, quelque soit le temps ou la saison. Les maîtres de forges de Haute-Marne et de Meuse, les marchands de fer et fondeurs de Paris sont désormais libérés des sempiternels problèmes posés par les incertitudes de la voie fluviale, notamment l’attente du retour des eaux toujours escompté au mois de septembre mais tardant trop souvent jusqu’en octobre et même novembre. En conséquence, la construction des marnois disparaît rapidement, et l’activité marinière quitte progressivement la rivière au profit du canal, ouvert à la circulation en 1865. La confection, le lancement et la conduite des brelles continue encore, le séjour dans l’eau étant considéré comme favorable à la conservation de cette essence de bois, contrairement au hêtre, avant de disparaître au début du 20e siècle.
Plusieurs monuments ou sculptures décoratives témoignent des activités marinières et traditionnelles de St-Dizier, Valcourt, Moëslains et Hoëricourt : tombes et monuments funéraires dans les cimetières, statues et bâtons de confrérie de St-Nicolas, patron des mariniers, ancres de marine en médaillons sur la façade de la mairie de Valcourt, et surtout, éléments figurés en bas-relief sur le fronton de l’Hôtel de Ville de Saint-Dizier.


 marnois_troyes1860_detailDéfinitions

 

 

 

Dictionnaire de Trévoux

T. n.m. Espèce de bateau médiocre qui vient de Brie & de Champagne sur les rivières de Marne & de Seine en descendant jusques aux ponts de Paris. Les plus grands ont 12 toises de long, & 16 piés de large en fond, & 18 sur le bord qui est haut de 4 piés.

Encyclopédie de Diderot-d’Alembert

f.m.(Marine.) “Ce sont des bateaux de médiocre grandeur qui viennent de Brie et de Champagne jusqu’à Paris sur la Marne et sur la Seine”.

Wikipédia

Le bateau “marnois” est un type de bateau de charge traditionnel du bassin de la haute Seine, c’est-à-dire en amont de Paris.

Il doit son nom au fait d’avoir été fabriqué au début, vraisemblablement au Moyen-Âge, dans les chantiers navals de Saint-Dizier, sur la Marne. Par la suite, l’on fabriquera des marnois sur tout le bassin de la haute Seine, et notamment au chantier de Vincent Coulon, à Auxerre sur l’Yonne au début du XIXe siècle, qui en a laissé plusieurs plans. Les plus grands marnois pouvaient atteindre 40 m sur 7, soit des bateaux de taille respectable, plus grands que les péniches automotrices de canal actuelles. On peut estimer qu’ils portaient jusqu’à 100 tonnes, le mouillage des rivière d’alors n’autorisant pas un enfoncement important (maximum un mètre). Ils ont disparu alors qu’apparaissaient des bateaux plus spécialement adaptés à la navigation en canaux ou rivières canalisées, soit au cours de la première moitié du XIXe siècle. S’il est aisé de trouver des représentations dessinées, gravées ou peintes de bateaux marnois de grande taille, il est beaucoup plus rare d’en trouver des photographies, celle-ci apparaissant au moment où ils sont en train de disparaître.

La forme marnoise cependant n’a pas disparu : elle se perpétue dans des bateaux de dimensions plus modestes comme des barques. Elle se caractérise par une géométrisation assez poussée, et notamment des angles vifs au niveau des épaulures. Bateau fluvial destiné à naviguer en rivière peu ou pas aménagée, le marnois possède des levées à l’avant et l’arrière, et non une étrave et un tableau arrière. Il est mû à la perche, à l’aviron, au halage. Les méandres des rivières qu’il fréquente ne permettent pas l’emploi de la voile.


Liens complémentaires

le projet Babel, consacré à la navigation fluviale (l’auteur de ce site nous a permis de copier plusieurs illustrations : qu’il en soit remercié)

http://projetbabel.org/fluvial/marnois.htm

Planches de l’Encyclopédie :

http://fr.wikisource.org/wiki/Fichier:Encyclopedie_volume_2-319.png

http://fr.wikisource.org/wiki/Fichier:Encyclopedie_volume_2-320.png

http://fr.wikisource.org/wiki/Fichier:Encyclopedie_volume_2-321.png


Galerie photos : elle comprend des images d’archives, des photos communiquées par projetbabel.org, des photos de la région de Saint-Dizier de Philippe Delorme.

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