« Moi, mon colon, celle que je préfère, c’est celle de 1870 ». Détournant Georges Brassens, on peut, sur le plan artistique, reconnaître que les monuments érigés avant 1900 sont plus intéressants. Ne serait-ce que parce que signés d’artistes plus connus ou de plus grande envergure…
Ces monuments sont moins nombreux : certainement d’abord parce qu’il y a eu moins de morts. La répartition des pertes est très différente de celle de la Grande Guerre. Cela expliquera que les monuments sont placés dans les grandes villes, ou dans les chefs-lieux de canton, rarement dans les villages.
Ensuite, parce que la guerre a été une guerre perdue, celle du Second Empire ; le phénomène d’appropriation par les citoyens est moins fort que ce que l’on mesurera quelques décennies plus tard.
Ce qui vient conforter cette hypothèse, c’est le déroulement chronologique. Les monuments ne sont pas construits tout de suite. Il y a un temps de latence, où la défaite est intériorisée. Mais avec l’installation durable de la République, le débat se déplace : une seconde motivation vient s’ajouter au culte des morts. Il faut, certes, honorer les disparus, mais, en même temps, affirmer le désir de récupérer les provinces perdues. Du patriotisme, on passe au nationalisme : c’est au moment de la vague boulangiste que le plus de monuments seront édifiés, 20 ou 30 ans après, dans la fièvre nationaliste. Ils ont plus pour vocation de remettre la France dans la bonne direction, celle de la ligne bleue des Vosges que de célébrer des morts déjà oubliés.
Les promoteurs sont des comités qui par souscription trouvent les fonds : “le Souvenir français” qui finance par exemple le monument de Bar-le-Duc, élevé en 1900, rue Bradfer) est une association créée en 1877 : elle entretient la mémoire des morts de 1870 en érigeant des monuments sur les champs de bataille, dans les cimetières ou dans les lieux publics quand cela est possible. Ce n’est pas une démarche collective, cela n’engage pas la nation, ses représentants officiels et les collectivités locales.
Annette Becker explique : « les morts sont souvent cachés dans les cimetières. On montre non pas la défaite, mais le soldat patriote se redressant, ce n’est pas un mauvais soldat, mais il a été vaincu parce que les autres étaient plus nombreux. »
Dans l’Est, ils peuvent avoir été détruits, c’est le cas de celui de Wassy. Par contre, monuments de ville ou de bourg seront plus riches, avec souvent des compositions ambitieuses mêlant la pierre, le marbre, le bronze.
La période, qui est aussi l’âge d’or de la sculpture académique, a été plus propice à la production d’œuvres intéressantes. Nombre de connaisseurs portent un jugement plus flatteur sur ces créations que sur celles qui seront proposées après 1918.
Diebolt, sculpteur du zouave du pont de l’Alma, Carillon, à qui on doit le monument aux défenseurs de Saint-Dizier… sont quelques noms.
Rodin est un cas à part : il était en compétition contre, entre autres, Barrias pour le monument de la Défense à Courbevoie. Ce dernier l’a emporté.
Son monument “Marianne à la défense de la République”, a été refusé. Ses effigies véhémentes ne pouvaient que choquer le jury empreint de l’académisme régnant. Rodin, mort en 1917, n’a pas eu le plaisir de constater que ce bronze a été offert par les Hollandais, neutres, à la ville de Verdun. Il est dressé place Saint-Paul devant l’une des portes de la cité. [ il a été déplacé depuis et se trouve rue des Frères Boulhaut]
Voir la fiche sur le site e-monumen.net : http://e-monumen.net/patrimoine-monumental/monument-la-defense-ou-lappel-aux-armes-verdun/
Se reporter à l’article sur les monuments patriotiques signés Durenne
Les tombes anonymes
La loi du 4 avril 1873 ordonne aux communes d’inhumer dans leur cimetière tout militaire tombé sur leur territoire et de leur accorder une concession à perpétuité. Une dépêche ministérielle fixe à 2 mètres carrés la surface à céder à l’État pour cette inhumation. L’État surveille de près la façon dont la tombe est organisée et fait poser des grilles en fonte que l’on retrouve dans la plupart des catalogues de fondeurs entre les grilles d’autel et les portails ! La mention de “tombe nationale” et le rappel de la loi sur la grille attestent d’une “protection” par la puissance publique (2).
(1) Fontes n° 19/20 Antoine Durenne, homme d’affaires, homme de l’art…
(2) cf. l’article de l’amiral J. Petesch dans les Cahiers haut-marnais 2e trimestre 1969 N° 97 à propos de l’inhumation d’un Garibaldien sur le territoire de Cusey. Pages 101 à 103. Dans ce cas, c’est Festugière à Brousseval qui fournit les grilles sur adjudication.
Article extrait du numéro de Fontes 31-32 paru en 1998