Frédéric Descouturelle réagit à l’article de Bruno Montamat
“Nous livrons ci-dessous notre sentiment sur un long article paru dans la revue Histoire, économie & société et ayant pour titre « Le métropolitain d’Hector Guimard : un art nouveau officiel »/1.”
1/ https://www.cairn.info/revue-histoire-economie-et-societe-2021-2.htm
Soyons bref et brutal. La souplesse de la plume de l’auteur de l’article ne masque que difficilement une méthode détestable : disqualifier ou faire mine d’ignorer le travail de recherche des auteurs qui ont labouré ce sujet à partir de 2002 avec une étude de la mission historique de la RATP, suivie par la publication d’un premier ouvrage aux éditions Somogy en 2003, puis d’un second aux éditions de La Vie du Rail en 2012, et poursuivies d’une foultitude d’articles qui ont précisé et complété de nombreux points. Il est alors nettement plus aisé pour cet auteur de se réattribuer la paternité de certaines avancées dans les connaissances, de dénoncer des erreurs anciennes auxquelles plus personne n’accorde de crédit, ou d’avancer des théories préconçues auxquelles les faits historiques sont priés de se conformer, de force si besoin.
Il nous a déjà habitué à des contorsions du même genre pour tenter de prouver que l’œuvre de Guimard était nourrie de mysticisme, au point d’attribuer à ce dernier un dessin d’architecture réalisé par un autre.
Cette fois, il s’attaque au métro, confondant l’œuvre immense que fut la conception et la réalisation du réseau parisien avec cet épiphénomène qu’en furent les accès de style moderne dessinés par Guimard. Il déclare aussi pallier les lacunes de « l’historiographie officielle » aux mains de la droite nationaliste municipale qui aurait omis de mentionner que ce projet de métro humaniste avait été mené par la municipalité parisienne de gauche (battue aux élections de mai 1900), dissimulé le rôle prépondérant de la Compagnie de Traction du belge Édouard Empain dans la formation de la CMP (la Compagnie du Métropolitain de Paris), minimisé le rôle du représentant de l’État, le préfet de la Seine Justin de Selves et surévalué celui de Fulgence Bienvenüe, l’ingénieur municipal qui a coordonné les travaux souterrains du métro. Il n’y a de fait aucune information nouvelle dans tout cela. Ce qui est surprenant c’est l’idée que l’Art nouveau soit présenté comme une volonté étatique et que l’on puisse donc le qualifier d’« officiel ». Un peu de culture générale à propos de l’histoire de ce style montre qu’en réalité, malgré ses mots d’ordre généreux et sa volonté d’apporter la beauté au plus grand nombre, celui-ci s’est développé en dehors de toute structure, encouragement ou financement de l’État pourtant gouverné alors par la gauche républicaine.
L’auteur récuse donc la célébrité indue de Bienvenüe (dont personne n’a jamais prétendu qu’il avait été pour quelque chose dans le choix de Guimard pour les accès du métro). Et dans la foulée, il fait mine de découvrir que le président de la CMP Adrien Bénard n’est sans doute pour rien dans le fait que Paris ait eu des accès de surface de style Art nouveau (ce que nous savons depuis près de vingt ans). La nature ayant horreur du vide, il met en avant deux héros injustement méconnus à ses yeux : le préfet de la Seine Justin de Selves et l’industriel belge Édouard Empain. Le premier, présenté comme un ami des arts — ce qu’il était vraisemblablement — ne pouvait avoir manqué de bloquer les autres projets et de favoriser Guimard. Il n’est en effet pas du tout impossible que Selves ait apprécié le style moderne puisqu’on sait qu’il a félicité l’architecte en mai 1899 lors de l’exposition consacrée au Castel Béranger dans les locaux du Figaro.Mais on peut facilement constater que son engagement en ce sens n’a pas duré bien longtemps et que son opinion, comme celle du journal Le Figaro, a été des plus versatiles. En effet, lors d’une séance de la Commission du Vieux Paris, il répondait au conseiller municipal Quentin-Bauchart qui
« critique […] le style des édicules servant de gare au Métropolitain et préconise vivement la disparition des deux affreux champignons qui recouvrent les accès de la place de l’Étoile et dont l’un n’a aucune utilité. […] Le Président répond qu’en tant que Préfet de la Seine il négocie en ce moment pour l’enlèvement de tous ces édicules, dont la forme a été si critiquée par le public parisien. Pour ceux à établir dans l’avenir, on s’en tiendra le plus possible, à la simple balustrade de fer ou de pierre. »1
Ce que l’auteur ne peut dire, car il serait pour cela obligé de citer notre livre paru en 2003, c’est que c’est très probablement à un échelon inférieur que s’est jouée la manœuvre. En effet, une note interne de la CMP retrouvée par André Mignard éclaire de façon fragmentaire mais convaincante les actions et les noms des protagonistes. Cette note, en date du 1er août 1902 est établie par Roederer (le premier directeur de la CMP) à destination de son successeur Garetta :
« à la suite du rejet des projets Friesé et Formigé présentés par la Compagnie fin 1899 […] Lebreton, conseiller municipal signale à la Commission du Métropolitain les études faites par Guimard […]. Defrance, [directeur administratif des Travaux de Paris de la préfecture de la Seine] fait connaître à Roederer que la Compagnie, en s’adressant à cet architecte, ferait facilement agréer ses projets par le conseil municipal […]. Roederer fait approuver le 12 janvier 1900 par le conseil d’administration de la CMP, les projets de Guimard. »
C’est donc probablement Gustave Defrance, plus que Justin de Selves, qui a favorisé les projets de Guimard en bloquant ceux de Friésé (l’architecte maison de la CMP) puis ceux de Formigé, architecte de la ville de Paris.
Quant au rôle qui aurait été joué par Édouard Empain, le dirigeant de la Compagnie générale de Traction à qui a été attribué en juillet 1897 la concession de l’exploitation du métro de Paris2, on voit ici resurgir un vieux serpent de mer naguère agité par un journaliste belge et qui fonctionne sur le syllogisme suivant : L’Art nouveau est né à Bruxelles, or Empain est bruxellois, donc le métro d’Empain est Art nouveau. Malheureusement, aucune preuve de l’intérêt d’Empain pour le style Art nouveau n’a jamais été apportée et l’hypothèse selon laquelle il aurait imposé à la CMP le choix de ce style pour le métro paraît pour le moins controuvée.
S’attaquant enfin au « rationalisme symbolique » des accès de Guimard, l’auteur s’attache à démontrer qu’ils ne sont qu’une sorte d’enseigne de la CMP. Libre à lui de voir des symboles de la CMP (la Compagnie du métropolitain de Paris) où il veut sur les entourages de Guimard — il n’est pas le premier à le faire — ni même de voir les feux arrière d’une locomotive dans les deux masses tournoyantes des cartouches des accès secondaires. Mais il rejette avec véhémence d’autres analogies en particulier d’ordre humaine ou sexuelles. Ces images nous les avions proposées dans les deux livres consacrés au métro de Paris, de façon mi-sérieuse, mi-amusée (notion que l’auteur ne semble pas bien maîtriser) en précisant bien que les entrées de métro de Guimard
« sont sans doute parmi les premières créations architecturales à s’affranchir de références historiques ou de motifs illustratifs et constituent aussi une incroyable quête vers l’abstraction. Et pourtant, comment ne pas noter des correspondances entre tel détail et telle image se présentant à notre souvenir ? S’agit-il d’ailleurs de transpositions effectuées consciemment par Guimard, ou d’analogies évoquées par notre propre culture, notre propre imagination, notre propre inconscient ? Nous avançons sans le secours d’une quelconque notice explicative livrée par Guimard. C’est l’éternel problème de la dissertation-dissection de l’œuvre artistique où souvent, trop heureux de nous exprimer à la place d’un créateur commodément muet, nous plaçons plus ou moins involontairement dans notre discours une part de nos propres préoccupations. Celles-ci variant bien entendu d’un individu à l’autre, nous suggérons aux psychologues désireux de renouveler leurs méthodes d’utiliser ces accès comme d’immenses tests de Rorschach. »
Nous savons bien qu’en histoire de l’art la vérité est souvent plurielle parce qu’elle est en bonne partie subjective. Penser le contraire c’est tout simplement faire preuve d’immaturité intellectuelle et peut être affective. Il y a en effet dans ce refus de la contribution le côté puéril de celui qui vient piétiner le château de sable qu’il n’a pas construit sur la plage, une volonté d’autopromotion, un brassage d’air à la fois inutile et néfaste qui font irrésistiblement songer à la mouche du coche de la fable.
Frédéric Descouturelle
2En raison de la nationalité belge d’Empain, une nouvelle compagnie française est créée en associant la Cie générale de Traction (majoritaire), les Établissements Schneider du Creusot et la banque Bénard et Jarislowskÿ, ainsi que d’autres actionnaires qui constituent par rétrocession le 20 mai 1898 la Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris (CMP).
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