Revue de presse : Le Monde : Les grands maîtres du bronze animalier
RECHERCHÉES DES COLLECTIONNEURS, LES ŒUVRES DE BARYE, BUGATTI, POMPON OU GUYOT PEUVENT ATTEINDRE PLUSIEURS DIZAINES DE MILLIERS D’EUROS
LE TERME GÉNÉRIQUE de ” bronze animalier ” désigne tous les sujets qui représentent des animaux, domestiques ou sauvages, et que les artistes de toutes époques ont immortalisé dans le bronze, un alliage fait de cuivre et d’étain. Cette tradition existe depuis la Renaissance (XVe siècle), mais son heure de gloire se situe plutôt à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.
” Le lion est mort. Au galop ! ” : c’est le message adressé par Antoine-Louis Barye (1795-1875) en 1829 à son ami le peintre Eugène Delacroix. Il s’agit du lion vedette du Jardin des plantes, à Paris. Les deux artistes se précipitent immédiatement pour réaliser une autopsie artistique du fauve, et pendant que le peintre observe les couleurs et les reflets de la fourrure, le sculpteur mesure les membres, modifie la position et note ses proportions exactes. C’est ainsi que travaille le plus célèbre sculpteur de l’époque : en observant des heures durant les animaux de zoo, de cirque, de course…
Barye est à l’origine du renouvellement de ce genre au XIXe siècle. Son style est d’un grand réalisme, puissant et même parfois violent : Tigre dévorant un crocodile, Cheval surpris par un lion, etc. Ce qui ne l’empêche pas de trouver son public, à défaut de recueillir l’approbation des critiques qui aimeraient le voir s’attaquer à quelques oeuvres monumentales. Mais Barye préfère les petites sculptures, qui plaisent jusque dans les salons du roi Louis-Philippe.
Si les tigres, les lions et les rhinocéros sont la marque de fabrique de Barye, les animaux plus courants sont exploités par son disciple Pierre-Jules Mène (1810-1879), connu pour ses nombreuses oeuvres équestres, ses biches et ses volailles. Son style plus classique, moins tourmenté que celui du maître, convient parfaitement à ces animaux plus sages.Toujours à la même époque, Christophe Fratin (1801-1864) se distingue de ses condisciples par une humanisation de ses sujets, et un goût prononcé pour les sculptures monumentales : son groupe en bronze de deux mètres de hauteur Cheval attaqué par un lion a longtemps trôné dans le square Montrouge, à Paris.
A la fin du XIXe siècle naît un nouveau génie du genre : Rembrandt Bugatti (1885-1916). Né dans une famille d’artistes, il est le fils de l’ébéniste Carlo, et le frère d’Ettore, créateur des bolides Bugatti. Sa vocation se déclare très tôt, si tôt que son père doit signer pour lui, encore mineur, le premier contrat avec le fondeur Hebrard.
Méconnu de son vivant, il a notamment travaillé au Jardin des plantes, à Paris, et au zoo d’Anvers. Eclectique, il sculpte des panthères, des bouledogues français, une girafe ou un petit chat devant son écuelle. Son style est d’un réalisme saisissant : les muscles semblent tendre la surface de bronze. Une performance due au talent de Rembrandt, conjugué à celui de Palazzolo, chef d’atelier de la fonderie Hebrard. Dépressif et tuberculeux, le sculpteur se suicide au gaz en 1916.
UN STYLE TRÈS ÉPURÉ
L’irascible François Pompon (1855-1933) va de son côté mettre au point une technique de sculpture très particulière : ” Je fais l’animal, avec tous ses falbalas, et puis petit à petit j’élimine de façon à ne conserver que ce qui est indispensable. ” Son oeuvre n’est reconnue que tardivement, en 1922, alors que l’artiste est déjà âgé de 67 ans. C’est la présentation de son Ours blanc, au Salon d’automne, à Paris, qui déchaîne les passions. Son style très épuré, presque japonisant, colle parfaitement aux critères esthétiques de l’époque.
Georges-Lucien Guyot (1885- 1973) n’a pas non plus montré d’intérêt particulier pour la célébrité. Sa grande passion, ce sont les ours. La légende dit que son grand-père en aurait affronté un, en combat singulier, à l’occasion d’une fête foraine… Guyot va en garder une tendresse particulière pour l’ours des Pyrénées, qu’il représente assis, à quatre pattes, avec ses oursons, etc. Guyot est également membre du Groupe des douze, qui réunit les plus grands artistes animaliers de l’époque, dont Pompon, Artus et Jouve.
Les cotes de tous ces maîtres de la sculpture animalière sont très variées. Le plus recherché est Rembrandt Bugatti, pour plusieurs raisons : la brièveté de sa vie ne lui a pas permis de beaucoup produire ; son fondeur a choisi, dès les premières années, de limiter le nombre de bronzes fondus ; et depuis le décès de l’artiste, aucun bronze n’a plus jamais été réalisé. Les rares sculptures de Bugatti qui figurent dans les ventes aux enchères publiques dépassent souvent les 80 000 euros. Second sur la liste, Barye, avec des cotes très variables selon la qualité de ses sculptures : de quelques milliers à quelques dizaines de milliers d’euros. Le maître du XIXe siècle a en effet été largement édité, avec plus ou moins de soin. De petits bronzes de Pierre-Jules Mène ou de Christophe Fratin se trouvent à partir de 3 000 euros à 5 000 euros. En revanche, les modernes Pompon et Guyot bénéficient d’un meilleur accueil, avec des adjudications autour de 50 000 euros.
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Louise Thomas – Le Monde février 2008