LA RENAISSANCE D’UN SITE INDUSTRIEL
Depuis treize ans, grâce à Patrick de La Paumelière, les forges de Paimpont sont devenues l’un des hauts lieux du patrimoine industriel de Bretagne. Un tour de force récompensé cette année par le Grand Prix VMF.
La forêt de Brocéliande n’est pas seulement le pays des fées. Depuis des centaines d’années, c’est aussi celui du fer, et donc des forgerons. Déjà, au XIVe siècle, pendant la guerre de Succession de Bretagne, les hallebardes des belligérants n’étaient-elles pas fabriquées dans la région de Paimpont ? Et, lorsqu’à l’aube du XVIIe siècle, les progrès techniques permirent de concevoir un alliage plus résistant, la fonte, les sept mille hectares de la forêt de Paimpont, où l’eau et le bois se trouvaient à foison, se couvrirent de forges. Le duc de La Trémoille, le premier, eut l’autorisation en 1633 de créer une forge là où le minerai de fer, l’hématite rouge, était le meilleur, là aussi où les moines, au Moyen Âge, avaient creusé sept étangs qui pourraient alimenter le réseau hydraulique nécessaire au fonctionnement des roues et des soufflets.
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Jusqu’au Nouveau Monde
Vingt ans plus tard, les forges passent dans les mains de François d’Andigné et Jacques de Farcy et prennent une nouvelle ampleur. Une grosse forge est construite, comme un peu partout dans la forêt. Bientôt, ces forges bretonnes ne se contentent plus de fournir les outils nécessaires à l’agriculture, elles subviennent aux besoins des arsenaux de toute la région : celui de Brest bien entendu, mais aussi ceux de Nantes et de Lorient. Toute l’économie de la forêt se tourne vers la production de fer : les propriétaires veulent que les forges françaises soient aussi puissantes que leurs homologues espagnoles et suédoises. Au siècle suivant, les forges de Paimpont sont devenues si célèbres dans tout le pays qu’elles servent de modèles pour l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Plus de 500 tonnes de fonte et 360 tonnes de fer sortent annuellement de la forêt. Toute la population, ou presque, travaille plus ou moins directement pour les forges. Ils sont lamineurs, cloutiers, mais aussi bûcherons ou charbonniers. Le minerai est exporté jusque dans le Nouveau Monde, où il participe à l’armement des jeunes États-Unis d’Amérique.
Quand les feux s’éteignent
Sous le règne de Louis XVIII, la fonderie s’agrandit : un deuxième haut-fourneau à bois est installé, puis on construit un laminoir équipé des tout nouveaux fours à puddler, alimentés avec du charbon de terre, le « coke », ainsi qu’une nouvelle fonderie. Une cinquantaine d’ouvriers travaillent bientôt dans le nouveau laminoir dont les arches, doublées de métal, peuvent supporter une chaleur de 1 600 degrés. Ils y aplatissent le métal sorti de l’usine d’affinage voisine. En 1850, 1 500 tonnes de fonte sont produites chaque année. Les rails de la première ligne de chemin de fer entre Paris et Rennes sortent de la forêt de Paimpont. Contrairement à la Lorraine, même lorsque l’activité industrielle atteint son plus haut niveau, dans les années 1850, la Bretagne n’abandonne pas son économie rurale. Les deux mondes cohabitent tant bien que mal.
Mais, dès 1856, les Anglais et les Gallois se mettent à livrer une concurrence acharnée aux forges bretonnes. En dix ans, l’activité de Paimpont est détruite. Après une brève embellie due à la hausse de la demande de minerai provoquée par la guerre de 1870, l’usine ferme ses portes en 1884. Seul un atelier de construction mécanique demeure, qui fonctionnera jusqu’en 1954.
Une par une, toutes les forges de la forêt de Brocéliande s’éteignent, laissant à nouveau aux fées le privilège d’éclairer les clairières de leurs feux…
Tout un passé qui renaît
C’est tout ce riche passé méconnu de la métallurgie bretonne que Patrick de La Paumelière a voulu faire revivre en restaurant les forges, en étroite collaboration depuis treize ans avec Henry Masson, conservateur régional des Monuments historiques, les services de la Drac Bretagne, ainsi que des chercheurs spécialisés dans l’étude du fer et de la fonte. De la ruine qui affleurait sous une gangue de végétation en 2003, il a fait resurgir le laminoir d’autrefois, grâce aux plans originaux conservés aux Archives nationales, à Paris. Les fours, la maison du contremaître et celle du maître des forges ont été restaurés à leur tour. Aujourd’hui, le public peut découvrir l’histoire du site en visitant le laminoir et grâce à des maquettes qui reconstituent trois anciens ateliers des forges,
En mars dernier, un nouveau chantier a démarré : il s’agit cette fois de réparer la digue, protégée au titre des Monuments historiques. Après cette délicate intervention qui oblige à ouvrir la digue, à démonter les maçonneries et les remblais puis à les remonter au béton de chaux, l’étang des forges pourra être remis en eau. Le grand prix des VMF contribue à la réalisation de ces travaux et des suivants : les fours devraient être consolidés, les cidreries et l’ancienne écurie vont, à leur tour, reprendre vie.
S. H. (VMF septembre 2017)
La maison du maître des forges, qui abrite aujourd’hui des gîtes.
Le laminoir fut le premier bâtiment du site industriel à être restauré. Il fallut huit ans pour qu’il retrouve le clos et le couvert.
Les deux hauts-fourneaux avant et après restauration. Celui de gauche date de 1832 et celui de droite de 1842.