Exposition sur le baron Haussmann : pavillon de l’Arsenal à Paris et émission sur France-Culture

XIXe siècle : en une quinzaine d’années, le baron Haussmann a métamorphosé le visage de Paris. Alors qu’une exposition lui est consacrée au Pavillon de l’Arsenal, retour sur les raisons et le déroulement de ces grands travaux, en archives sonores, peintures et photographies d’époque.

https://www.franceculture.fr/architecture/comment-haussmann-reussi-son-paris#xtor=EPR-2-[LaLettre01022017]

Destructions nécessaires à la percée haussmannienne
Destructions nécessaires à la percée haussmannienne Crédits : BnF

On sait tous à quoi ressemble un immeuble haussmannien, mais sait-on à quel point le baron Haussmann, délégué par Napoléon III, a totalement chamboulé le paysage de la capitale, avec ses immenses percées, son architecture régulière, ses parcs… ? “A l’époque d’Haussmann c’est le triomphe de la circulation physique, il faut faire circuler l’air, circuler les gens, circuler les capitaux…“, affirmait le spécialiste de l’histoire de l’architecture Pierre Pinon sur France Culture, en 1991. Alors que le Pavillon de l’Arsenal, à Paris, inaugure une exposition consacrée au célèbre baron (visible jusqu’au 7 mai 2017), nous vous proposons un voyage dans le temps, à l’époque où les grands travaux haussmanniens redonnèrent du souffle à la capitale.

Le Paris étouffant d’avant Haussmann

Depuis la révolution française, le visage de Paris était resté inchangé, à l’exception de quelques percements, et quelques constructions… : “Le Paris d’Eugène Sue par exemple, le Paris des Mystères de Paris, était encore là dans les années 1850. C’était un Paris extrêmement pittoresque, un Paris parfois de toute beauté, avec bien sûr de petits hôtels particuliers, des architectures anciennes…“, décrivait Caroline Mathieu, conservateur à Orsay en 1991, alors que le musée célébrait Haussmann à travers une exposition, pour le centenaire de sa mort. C’était dans l’émission Avant Goûts, sur France Culture.

Mais également un Paris où il était très difficile de circuler : “Il n’y avait aucune possibilité d’aller du sud au nord de la capitale d’une façon un peu directe, il n’y avait aucun moyen non plus d’aller de l’est en l’ouest, sans buter sans arrêt sur des maisons, pas toujours belles… des taudis, des baraques… et donc le problème de la circulation était fou !

Dès 1840, un certain nombre d’édiles, d’architectes ou d’ingénieurs s’étaient aperçus que le seul moyen de rendre Paris encore vivable était d’améliorer les communications, affirmait Pierre Pinon. Invité dans la même émission de 1991 alors qu’il était commissaire d’une exposition sur Haussmann au Pavillon de l’Arsenal, il a également signé un Atlas du Paris haussmannien et un Atlas historique des rues de Paris (Parigramme, 2016) :La rive gauche et la rive droite en 1840 sont deux mondes. (…) Et les gens de la rive gauche sont les moins bien lotis puisque le commerce s’est développé sur la rive droite et que la rive gauche hérite d’un quartier universitaire finalement peu animé… La rive gauche se meurt…(…) Il faut absolument établir une liaison qui sera Strasbourg – Sébastopol – Saint Michel, un élément de la grande croisée de Paris – on l’appellera comme ça à l’époque – parce qu’il faut que Paris vive et que les gens puisse aller d’un quartier à un autre.”

“Si vous lisez Balzac par exemple, vous verrez que la plupart de ses personnages se déplacent uniquement à l’intérieur de leur quartier, dans deux ou trois rues, et pas plus. A cette époque-là, les Parisiens n’allaient pas les uns chez les autres… se déplaçaient très très peu, avant qu’arrive cette facilité de voyager dans la ville.” Caroline Mathieu

Un plan de Paris daté de 1851, un an avant le début des grands travaux d'Haussmann
Un plan de Paris daté de 1851, un an avant le début des grands travaux d’Haussmann Crédits : Maillard / Domaine public, Wikipédia

L’air lui-même a du mal à circuler, ce qui fait le jeu des microbes, de l’insalubrité, alors même que la population ne cesse de se densifier dans les quartiers du centre. Or, “[Napoléon III] avait vécu en Amérique, en Angleterre, et il avait admiré énormément ces grandes percées, cette espèce de beauté, d’amplitude des avenues qu’il avait remarquées dans ces deux pays. C’était aussi des pays dans lesquels les squares, les parcs, étaient extrêmement importants… : la vie était beaucoup plus hygiénique, et vous savez qu’à Paris, l’épidémie de choléra de 1842 a été absolument catastrophique“, analyse Caroline Mathieu.

“Au-dessus d’Haussmann se dressait cette grande ombre de Napoléon III qui voulait assainir Paris, construire des maisons, des cités ouvrières destinées à l’amélioration des classes les plus défavorisées. Il est vrai qu’on a beaucoup négligé tout cet aspect des choses au profit de la vie parisienne (…) mais que les préoccupations édilitaires et humanitaires du Second Empire ont été maintenant bien remises en valeur.” Caroline Mathieu

Avec Haussmann et Napoléon III, un maître mot : “Circulez !”

Napoléon III “philanthrope, rêveur, artiste“, tel que le décrivait Pierre Pinon, avait vécu deux ans à Londres, de 1846 à 1848, et arrivait à Paris avec un projet d’embellissement reposant sur les gares tout juste édifiées : “Napoléon III se dit que les nouvelles portes de Paris sont les gares et qu’il faut absolument établir de nouvelles liaisons directes entre les gares et le centre de Paris.

Napoléon III confie d’abord cette mission d’embellissement au préfet de la Seine Jean-Jacques Berger, qui lance la percée du boulevard de Strasbourg, de la rue de Rennes et de la rue de Rivoli… mais un peu trop timidement au goût de l’empereur, qui se retourne vers le baron Haussmann, “exécutant dont [il] rêvait probablement“, et qui transformera littéralement la capitale, en une vingtaine d’années. Haussmann, nommé préfet de la Seine par l’empereur, et qui bouda les ingénieurs des ponts et chaussées parisiens, leur préférant des ingénieurs avec lesquels il avait déjà travaillé en province.

Percement de l'avenue de l'Opéra
Percement de l’avenue de l’Opéra Crédits : Charles Marville / Wikipédia

Dans une autre émission de France Culture de 1991, Permis de construire, Pierre Pinon s’attardait sur l’originalité, pour l’époque, du projet architectural du baron : reconquérir le centre de la ville, en essayant notamment de développer la rive gauche : “C’est l’université, ce n’est pas la ville… La vraie ville c’est la rive droite. Et l’angoisse des gens de l’époque c’est de voir Paris se déplacer vers le nord-ouest.

Écouter Haussmann_Permis de construire du 26 septembre 1991 Durée : 20 min

Haussmann détruit énormément… Comme s’il y avait urgence à le faire, il défait le Paris XVIe-XVIIe siècles, se met à dos les défenseurs du patrimoine (une sensibilité naissante, sous la monarchie de Juillet)… et un nombre important de livres et de publications le conspuent.

“Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville / Change plus vite, hélas ! que le coeur d’un mortel) ;” Baudelaire, Les Fleurs du mal

Pour l’écrivain surréaliste Benjamin Péret, le baron passait d’ailleurs pour l’homme qui avait “peign[é] Paris avec des mitrailleuses.”

Pour autant, Haussmann ne cherche pas à faire table rase : “L’expropriation dépasse assez peu les parcelles qui sont touchées par la percée“, précise Pierre Pinon. Nathan Starkman, également invité à Permis de construire en 1991 et alors directeur de L’Atelier Parisien d’Urbanisme, soulignait la volonté d’Haussmann de rester “dans la silhouette de la ville.

Nouveau plan de Paris, en 1870
Nouveau plan de Paris, en 1870 Crédits : Hachette

D’ailleurs, Victor Hugo lui-même, grand amateur de l’architecture médiévale et pour cela ennemi des destructions, s’était tout de même aperçu que le vieux Paris subsistait après les grands travaux, d’après Pierre Pinon.

“Que c’est beau ! de Pantin on voit jusqu’à Grenelle ! / Le vieux Paris n’est plus qu’une rue éternelle / Qui s’étire, élégante et belle comme l’I, / En disant : ‘Rivoli ! Rivoli ! Rivoli !’ / L’empire est un damier enfermé dans sa boîte. / Tout, hors la conscience, y suit la ligne droite.” Poème satirique de Victor Hugo, à propos du prolongement de la rue de Rivoli

Travaux nocturnes des constructions de la rue de Rivoli, éclairés par la lumière électrique, L'Illustration 1854
Travaux nocturnes des constructions de la rue de Rivoli, éclairés par la lumière électrique, L’Illustration 1854 Crédits : Jules Galdrau / Wikipédia

Les grands travaux menés par Haussmann et Napoléon III s’accompagnent d’une réflexion générale sur l’espace public, dont on s’est inspiré à l’étranger, selon Pierre Pinon : “On recommande l’alignement des corniches, des balcons, on plante, ce qui était rare précédemment. C’était une réflexion sur l’ensemble du mobilier urbain, sur les kiosques, jusqu’aux plaques qui protègent la base des arbres pour que l’eau puisse arroser les racines.”

Des percées à visée stratégiques ?

Hygiénisme, volonté de faciliter la circulation… D’aucuns affirment pourtant que là n’étaient pas les seules motivations de Napoléon III et d’Haussmann, voyant surtout dans ces grandes percées le moyen, pour les troupes de l’empereur, de mieux réprimer d’éventuels soulèvements du peuple. Des accusations qui s’élevèrent dès le Second Empire, et qui furent ensuite entretenues, comme le relate Pierre Pinon dans son Atlas du Paris haussmannien : l’écrivain Georges Pillement affirmait par exemple en 1941 que “Louis Napoléon n'[avait] que des vues stratégiques“, l’auteur Marcel Raval, en 1943, réduisait les percées à un moyen de “canonner la foule en cas de troubles” et l’historien d’art Louis Réau évoquait en 1958 la “stratégie contre-révolutionnaire” de Napoléon III.

“Il est difficile de nier l’omniprésence du discours sécuritaire dans les écrits des théoriciens de la ville sous la monarchie de Juillet et sous le Second Empire ; gouvernants et notables sont encore sous le choc des révoltes populaires durant les révolutions de 1789, de 1830, de 1848.” Pierre Pinon

Entrée de Napoléon III dans Paris, 1852
Entrée de Napoléon III dans Paris, 1852 Crédits : Theodore Jung / Wikipédia

Mais selon Pierre Pinon, la majorité des percées étaient étrangères à un tel programme offensif, même si l’historien reconnaît volontiers que l’usage militaire de certaines artères avait bel et bien été envisagé (“Haussmann ne s’en est pas caché“) : le percement du boulevard Sébastopol par exemple, correspondait pour lui à “l’éventrement du vieux Paris, du quartier des émeutes, des barricades, par une large voie centrale” ; quant au couvrement du canal Saint-Martin… voici ce qu’en disait Haussmann lui-même dans ses Mémoires : “Le boulevard [Richard Lenoir] que je projetais au-dessus du canal couvert devait substituer au moyen de défense que le canal offrait aux émeutiers, une nouvelle voie d’accès dans le centre habituel de leurs manifestations.

La régularité haussmanienne : monotone, ou source d’inspiration ?

Créer des percées, faire circuler l’air, les civils, les troupes, la lumière… mais unifier le paysage urbain également. Un souci qui ne datait pas de l’époque du baron, mais qui le taraudait : “Il y a des typologies architecturales urbaines relativement bien en place depuis qu’on fait des villes. Disons qu’Haussmann (…) tenait beaucoup à cette homogénéité, qui était qualifiée de monotonie à l’époque, à cet ordonnancement du paysage, et le peu de réglementation qui existe à l’époque insiste justement sur cette continuité des lignes, en termes relativement vagues…“, explique Pierre Pinon.

“De façon paradoxale, la monotonie haussmanienne permet aujourd’hui d’accueillir les exceptions architecturales.” Nathan Stark

“[Haussmann] aimait beaucoup la régularité, donc ces grandes allées elles viennent d’Haussmann, mais la conception générale de la ville avec de l’aération, de l’air, de la lumière qui rentrent, c’est Napoléon III, et cette ville nouvelle va donner énormément d’images nouvelles aux impressionnistes par exemple, qui vont peindre Paris comme elle n’avait jamais été peinte.” Caroline Mathieu

Jour de pluie à Paris, 1877
Jour de pluie à Paris, 1877 Crédits : Gustave Caillebotte

Enfin, comment ne pas évoquer les parcs et les jardins qui ont vu le jour à Paris sous le Second Empire, et ont également réjoui les impressionnistes : le parc Monceau, transformé par Haussmann et Alphand, son ingénieur, et inauguré par Napoléon III en 1861, le parc des Buttes-Chaumont, qui doit sa transformation au même Alphand, et qui était une carrière de gypse depuis le Moyen Âge, envahi par les rats et servant d’abri aux miséreux de la capitale, le parc Montsouris, dont la construction a également été confiée à Alphand par Haussmann…

Parc Monceau, 1876
Parc Monceau, 1876 Crédits : Claude Monet

Le 23 janvier 2017, l’historienne des jardins et paysagiste Isabelle Levêque expliquait que le goût de Napoléon III pour la nature était certainement hérité de son enfance, dans un épisode de LSD, La série documentaire, consacré aux Buttes-Chaumont et que vous pouvez réécouter ici, pour clore ce voyage en beauté.

“Napoléon III a passé toute sa petite enfance en Suisse, sur les bords du lac de Constance, et il commençait, avec son précepteur par une promenade d’une heure dans la montagne.” Isabelle Levêque

Hélène Combis-Schlumberger

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