Louis XIV engloutit des fortunes dans l’ornementation des jardins de Versailles. Acquisition d’originaux, copies conformes, commandes à des sculpteurs contemporains. Pour les fondeurs d’art, le label « Versailles » a permis de satisfaire une demande de prestige.
Les statues de Versailles n’ont pas été installées en une seule fois, comme on décorerait un appartement neuf avant de se mettre dans ses meubles.
Du marbre au bronze: une mutation inachevée…
Le parc de Versailles est un livre en couleurs: on y trouve du vert: les bosquets, les pelouses… du blanc, celui du marbre, du vert sombre, celui du bronze et enfin de l’or, celui des décors appliqués plutôt sur les plombs des statues.
Quatre époques se sont succédé:
1661-1666: le premier décor faisait appel à la mythologie: il a disparu et on ne le connaît plus que par les gravures; 1668-1679: c’est l’âge du plomb doré pour les grands bassins ou les fontaines des bosquets. 1674-1688: le marbre est le matériau de prédilection, notamment dans ce qu’on appelle “la grande commande” de 1674; enfin de 1685 à 1690, on avait projeté de remplacer les marbres par des bronzes. La seule réalisation majeure de ce projet, abandonné faute de moyens, est le parterre d’Eau où les fleuves, les nymphes encadrent les deux plans d’eau où se reflète la façade du palais royal. Ces bronzes ont été magnifiquement fondus par les frères Keller, directeurs de l’Arsenal de Paris, qui ont fourni en 1684 et 1685 des statues d’après les plus grands sculpteurs.
On ne dédaignait pas toutefois le trompe-l’œil comme dans le Labyrinthe conçu en 1666 par Le Nôtre sur une idée de Ch. Perrault: trente-neuf fontaines en plomb peint pour imiter la nature représentaient les fables d’Ésope. La Fontaine y trouva une inspiration: Bossuet y emmenait son élève, le Grand Dauphin, fils de Louis XIV, pour le former à la morale.
Cette chronologie est à mettre en rapport avec la constitution d’Académies: 1666, c’est l’Académie de France à Rome qui, en contact avec l’Antiquité, fait redécouvrir, non pas la sculpture qui était appréciée depuis la Renaissance et François 1er, mais la technique: les sculpteurs travaillent d’après les œuvres gréco-romaines, ce qui ne les empêche pas d’introduire des aspects plus contemporains: Pierre Le Gros a ainsi pris pour modèle son épouse pour créer la figure de l’Eau, fontaine du Point du Jour.
La “grande commande” de 1674 est une série de vingt-quatre statues et quatre groupes colossaux en marbre blanc, décidée par Colbert, confiée à Le Brun qui dessine et fait sculpter par les plus grands artistes des ensembles tels que Les Quatre Éléments, les Quatre Saisons, les Heures du jour, les Quatre parties du monde, les Quatre tempéraments. C’est un résumé de l’univers que le grand roi commande. Les thèmes avaient été préparés par la Petite Académie fondée en 1663 qui réfléchissait aux allégories, aux inscriptions, aux devises, aux fables les mieux à même de glorifier le roi. Pour le promeneur qui passait devant la fontaine de l’Encelade, ou l’Enlèvement de Proserpine par Pluton, il n’y avait aucun problème de compréhension, la mythologie “parlait” (et la politique aussi: Fouquet qui avait été le rival de Louis XIV était le Titan terrassé par Zeus). Mais, ensuite, l’ordre des statues a été bouleversé lors des réaménagements successifs, ce qui a fait perdre une grande part de la symbolique de la pierre.
Versailles en fonte…
Les jardins sont donc l’un des plus grands musées de la statuaire. La pierre domine, le métal a été utilisé mais il s’agit souvent de plomb doré, pour les fontaines notamment. Il est intéressant de suivre à la trace certains sujets qui sont passés du marbre antique pour être adaptés en métal à Versailles et ensuite passer en fonte d’art dans les catalogues du Val d’Osne, de Durenne, de Denonvilliers, de Tusey.
Les fleuves nous viennent de Rome: la France s’est approprié le Tibre, tandis que le Nil restait à Rome. Il est donc naturel que Versailles ajoute sur ce modèle les grands fleuves français. Les frères Keller coulèrent dans le bronze et les fondeurs diffusèrent les copies en fonte. Idem avec les groupes d’enfants… Le Val d’Osne choisit deux des fleuves non pas pour la géographie mais pour le couple masculin-féminin qui permettait de vendre la statue tantôt pour un fleuve tantôt pour une rivière.
Certaines de ces productions ont été achetées par les entreprises, ce qui ne veut pas dire qu’elles ont été vendues par la fonderie: à notre connaissance (partielle), nous n’avons pas trouvé d’exemple de la Vénus d’Arles. Peut-être qu’en des cieux inconnus, elle nous tend toujours la main. Ce n’est pas le seul exemple de produit visible sur le papier qui n’a pas été retrouvé à ce jour.
Avoir l’étiquette « Versailles », c’est donc avoir un label d’origine, une haute lignée. Que ce soit de l’antique, des créations du XVIIe siècle, des originaux ou des Pilon, Puget, Coysevox, Manier, Le Hongre… c’est le prestige royal qui sert de caution artistique et commerciale. Les fondeurs d’art ont acheté ces moulages au Louvre pendant le Second Empire et ils en ont fait un fonds de catalogue. Les statues ont été diffusées dans de nombreux pays, chacune tissant la trame de son existence, son insertion dans l’histoire nationale.
Article extrait de la revue Fontes : n° 66-67 parue en juillet 2007 (éditée par l’ASPM : voir rubrique bibliographie >> Fontes)