Statues ou cloches : le choix de la France face à l’exigence allemande

Statues ou cloches : le choix de la France face à l’exigence allemande

La seconde guerre mondiale a été marquée par une course aux matières premières : l’Allemagne nazie a exploité tous les pays occupés en les sommant de fournir des métaux non-ferreux : ici, en l’occurence, le bronze que l’on trouvait sous deux formes : la statuaire et les cloches. L’auteur revient dans cet article sur les choix français très différents de ceux opérés dans d’autres pays. (les illustrations de cet article sont de fontesdart.org).

statue_insurge_crest

Plus que la récupération de quelques quintaux de bronze, c’est un symbole républicain de lutte pour la liberté que les autorités vichystes font enlever à Crest le 20 janvier 1942. 

Les employés de l’entreprise mandatée par le Groupe d’importation et de récupération des métaux non ferreux, agissant sous les ordres du gouvernement de Vichy, ont déboulonné la statue et l’ont posée sur le sol. Ils s’apprêtent à la charger sur un véhicule qui la transportera vers une fonderie. Quelques curieux observent la scène. 
Cette statue, érigée en mémoire des milliers d’insurgés drômois soulevés contre le coup d’État napoléonien de 1851, souvent victimes d’un répression injuste mais féroce, est si chargée de sens que, même après son enlèvement, les initiateurs de la Résistance y organisent un rassemblement clandestin et y déposent une gerbe. Auteur : Robert Serre Cliquez sur l’image pour l’agrandir (source : http://www.museedelaresistanceenligne.org)

Conclusion de l’ article de Bernard Richard : 

 “Au total, de 1940 à 1944, la volonté vichyste de s’appuyer sur l’Église et en revanche d’effacer de nombreux monuments commémoratifs républicains oriente la destruction vers la statuaire en bronze et sauvegarde les cloches. En dehors des données fournies par l’expert canadien Percival Price, aucun chiffre global n’a été établi mais le bilan des destructions résultant des bombardements doit dépasser le chiffre des enlèvements de cloches. On est, pour les cloches de France, à un total approximatif de 3 ou 4% de disparitions, très loin de la situation que connaît la Belgique ou l’Allemagne proprement dite. (…)

Les cloches de France sous la seconde guerre mondiale

(à lire  dans Patrimoine campanaire n° 69, janvier-mars 2012) document téléchargeable : cliquez sur le lien

par Bernard RICHARD


Retrouvez cet article en téléchargement dans notre librairie numérique en cliquant sur ce lien

Nous vous rappelons que notre base de données e-monumen permet de repérer les statues fondues sous l’occupation (la mention “fondue” à côté du nom indiquant une récupération ; la mention “détruite” faisant allusion à une casse accidentelle (guerre par exemple) ou volontaire (destruction du fait des propriétaires).

De même, sur le sujet des cloches, mais dans un tout autre registre, nous vous signalons notre revue Fontes n°16 Fontes n° 16 – L’esprit de clocher et le numéro 61 Fontes n° 61 – Air : le quatrième élément : dans ces deux revues (disponibles en ligne), le thème des cloches (fabrication et symbolique) est abordé.


Pendant les guerres, depuis que l’artillerie utilise le bronze pour ses canons, c’est-à-dire depuis fin XVe-début XVIe siècle, les clochers sont volontiers traités comme des « mines de bronze » (expression du député Reboul le 14 mars 1792 à l’Assemblée législative).

Selon Alain Corbin, autour de 50 000 tonnes de bronze furent récupérées pendant la Révolution pour alimenter la guerre extérieure et sauver la « Patrie en danger », soit encore à peu près la moitié du poids de l’ensemble des cloches d’églises du pays1. Pendant la première guerre mondiale, au moins dans la zone du front, les destructions volontaires de clochers – soupçonnés de servir de points d’observation aux artilleurs ennemis – furent nombreuses ; en outre dans les régions françaises ou belges occupées par l Empire allemand, des cloches furent enlevées et fondues pour fournir la matière première de l’industrie d’armement allemande car le blocus établi par la flotte anglaise limitait les possibilités d’importation de la matière première.

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Enlèvement de la cloche de Martincourt (Meuse) en août 1917 par les Allemands (source : Wikipédia, article : Martincourt)

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Carte postale patriotique rappelant la destruction des églises et cathédrales du nord de la France.
La cloche symbolisant la ville martyre d’Arras se trouve au second rang, juste après celle de Reims (source : http://grande-guerre.org/?p=301)

Quel fut le sort des cloches dans l’Europe allemande de la seconde guerre mondiale.

Des chiffres impressionnants sont donnés dès 1948 par l’expert canadien Percival Price (Campanology, Europe 1947-1947, 1948), chiffres repris par Kirrily Ann Freeman en 2009 (Bronze to Bullets, 2009). Pour cette Europe allemande, les destructions globales seraient les suivantes : environ 54 000 tonnes de bronze saisies (pour 170 000 cloches) et plus de 40 000 tonnes fondues (pour plus de 148 000 cloches), ceci soit dans le pays de saisie, soit à Hambourg, Hanovre ou dans les fonderies environnantes. Précisons que les cloches étaient classées en trois catégories par l’Occupant, A, B et C, C étant celle des cloches les plus anciennes ou de la plus grande valeur historique et qui, réquisitionnées, n’ont pas toujours été fondues, certaines ayant été retrouvées après la capitulation allemande et restituées à l’église d’origine.

L’Allemagne réquisitionne 83 % de ses cloches, 63 % de celles de la Belgique (5 020 cloches enlevées et 4 660 fondues, celles de catégorie C sauvegardées expliquant cette différence ; 2 790 tonnes de bronze enlevées, 1 390 tonnes de bronze fondues) et des chiffres comparables pour les Pays-Bas par exemple2.. La Tchécoslovaquie (alors Bohême-Moravie et Slovaquie) perd la quasi totalité de ses 12 000 cloches en un an3. Seuls réchappent à cette hécatombe le Danemark, la Norvège, le Luxembourg et la France, chaque pays pour des raisons propres qui sont acceptées par les autorités allemandes car d’autres sources de métal non-ferreux sont offertes.


 

 Alain Corbin, Les cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes du XIXe siècle, Paris, éd. Albin Michel, 1994, réédition Flammarion, coll. Champs, 2000.

2 Kirrily Ann Freeman, Bronzes to Bullets : Vichy and the Destruction of French Public Statuary, 1941-1944, chap. 2, p. 40 et suivantes, Éd. Stanford University Press, Stanford, Californie, États-Unis, 2009 (l’ouvrage de base sur la statuaire « mobilisée » sous l’Occupation pour la récupération du bronze) et Percival Price, Campanology, Europe 1945-1947 : A Report on the Condition of Carillons on the Continent of Europe as a result of the Recent War, on the Sequestration and Melting Down of Bells by the Central Powers, and on Research into the Tonal Qualities of Bells made Accessible by War-Time Dislogment, University of Michigan Press, Ann Arbor, 1948.

3 Hervé Gouriou, L’art campanaire en Occident, histoire, facture et esthétique des cloches de volée, Éd. du Cerf, coll. Cerf-histoire, 2006.

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