Quand l’histoire industrielle locale mobilise les scientifiques du monde entier : “la réponse des communautés et le sentiment de désespoir sont similaires partout”
Quarante chercheurs internationaux sont présents en Lorraine depuis lundi 16 juin 2025 dans le cadre du Summer Institute. Le thème de cette année aborde la désindustrialisation et ses conséquences humaines et patrimoniales. L’histoire et les transformations de l’ancien bassin sidérurgique de Longwy suscitent un grand intérêt auprès des universitaires.
Le thème de cette année aborde la désindustrialisation et ses conséquences humaines, culturelles et mémorielles sur les populations victimes de la disparition d’une industrie, laquelle a forgé au fil du temps une identité locale très forte.
Longwy, laboratoire de la désindustrialisation
Lieu symbolique de la désindustrialisation violente et de ses conséquences, Longwy (Meurthe-et-Moselle) a accueilli les chercheurs pour une journée de découverte des sites de mémoire du passé sidérurgique de la ville. Le bassin qui produisit jusqu’à un quart de l’acier français et employât 20 000 ouvriers a connu une longue agonie.
- Longwy est un cas d’école dans ce que peut engendrer la désindustrialisation avec un système productif qui n’a aujourd’hui laissé que des traces peu lisibles pour ceux qui ne connaissent pas cette histoire
Quarante ans après, le territoire bénéficie d’une longue expérience en ce qui concerne les conséquences humaines, culturelles et patrimoniales, explique Pascal Raggi, professeur d’histoire contemporaine de l’Université de Lorraine : “La Lorraine et Longwy en particulier n’ont pas été isolés en ce qui concerne le phénomène de désindustrialisation. Elle a connu une crise d’une ampleur inédite qui a cassé tout un système qui existait depuis le 19ᵉ siècle. Les universitaires présents aujourd’hui réfléchissent à des choses qui sont communes dans leurs pays d’origine”.
Les mêmes causes engendrent les mêmes maux
Myriam Guillemette, chercheuse à Concordia University au Québec, contemple la carcasse rouillée du haut-fourneau dynamité de l’ancienne usine sidérurgique de Senelle au cœur du bassin longovicien. Le cadavre de briques et de ferraille, objet incongru dont rien n’explique l’histoire ni la légitimité de sa présence au milieu du gazon, git au milieu du site transformé en terrain de golf. Les plus imaginatifs y voient un vaisseau spatial type Appolo ou Soyouz écrasé. Qui ne connait pas l’histoire du site ignore que ce fût l’un des plus puissants outils à fonte de France.
La carcasse rouillée du haut-fourneau dynamité de l’ancienne usine sidérurgique de Senelle (Longwy). Le cadavre de briques et de ferraille git au cœur du site transformé en terrain de golf. • © Boris Kratschmar/ France Télévisions
Cet objet colossal, vestige du passé, “parle” à Myriam Guillemette. L’universitaire travaille sur les conséquences de la fermeture récente d’une mine de nickel dans le nord de la province de Manitoba (Canada). Comme Longwy, l’activité industrielle a construit une forte identité communautaire dans ce territoire. L’arrêt de l’activité minière a engendré un terrible traumatisme dans une population qui partageait une forte communauté de destin.
Pour la chercheuse, Longwy est un laboratoire dont les enseignements lui seront très précieux pour sa recherche : “l’intérêt pour moi est de constater les similitudes entre Longwy et le territoire au nord du Manitoba que j’étudie. Les processus de désindustrialisation, la réponse des communautés et le sentiment de désespoir sont vraiment siLe patrimoine, enjeu de la revitalisation
Juliette Passilly est doctorante en patrimoine et anthropologie. Ses travaux s’intéressent aux bassins post-industriels et la manière dont le patrimoine peut constituer un levier pour revitaliser ces territoires. Sa recherche se concentre sur deux villes : Châteauroux en France et Arvida au Québec. La ville d’Arvida s’est construite autour de l’usine d’aluminium Alcan avec un ancrage communautaire local très fort.
Juliette Passilly est doctorante en patrimoine et anthropologie. Ses travaux s’intéressent aux bassins post-industriels et la manière dont le patrimoine peut constituer un levier pour revitaliser ces territoires. • © Boris Kratschmar/ France Télévisions
Anticiper les conséquences de la désindustrialisation
La scientifique s’attache à comprendre comment on entre dans un processus de patrimonialisation avec une industrie qui fonctionne toujours : “Longwy est un exemple de territoire qui a vécu une désindustrialisation. Cela me permet de voir comment le rapport à la mémoire s’est développé ou pas. Ce qui est intéressant ici, c’est de voir des exemples d’anciens sites industriels reconvertis et comment cette question du patrimoine industriel s’est intégré dans les politiques patrimoniales locales pour permettre la reconversion du territoire. À Arvida, même si l’industrie est encore active, progressivement, il a est question de patrimoine et de mémoire”. (…)
