Revue de presse (Persée) : La métallurgie normande, Xlle-XVlle siècles. La révolution du haut fourneau

Paru dans Persée, ce compte-rendu ancien mais toujours instructif  de Jean-Marc Moriceau.

Belhoste (Jean-François), Lecherbonnier (Yannick), Arnoux (Mathieu) et al., La métallurgie normande, Xlle-XVlle siècles. La révolution du haut fourneau (cahiers de l’Inventaire, n° 24), Caen, Association Histoire et Patrimoine Industriels de Basse-Normandie, 1991. In: Histoire & Sociétés Rurales, n°1, 1er semestre 1994. pp. 216-217.

www.persee.fr/doc/hsr_1254-728x_1994_num_1_1_867_t1_0216_0000_2

 

Comment, au cours du XVIe siècle, le Bocage normand est-il devenu l’une des régions sidérurgiques les plus puissantes du royaume de France ? Et quelles ont été, de ce fait, les transformations induites dans l’environnement ? À ces questions, les auteurs de cette belle publication répondent en multipliant les analyses de textes d’archives, de documents figurés et de témoignages archéologiques, nous livrant une étude documentaire fouillée, doublée d’une enquête de terrain tout aussi minutieuse. Après une présentation des aptitudes géologiques et de l’organisation médiévale des forges, l’essentiel de la démonstration porte sur la «révolution du haut fourneau », c’est-à-dire la diffusion du procédé indirect de fabrication, qui distingue deux étapes de traitement entre la matière première et le produit semi-fini : la réduction du minerai dans un fourneau livrant régulièrement de la fonte liquide, coulée en gueuses ; l’affinage à la forge pour obtenir le fer marchand, en barres, suivi du fendage, à partir du XVIIe siècle. L’innovation technologique, venue de Wallonie dans les années 1470, assure une production de masse et à bon marché, qui répond à une demande croissante en fer, dans les transports comme dans l’agriculture.

De 1520 à 1660, une nouvelle géographie sidérurgique se met en place dans les campagnes normandes : en dehors de quelques foyers du Pays d’Ouche, le haut fourneau s’ancre dans les terres méridionales du bocage, à la faveur de progrès techniques dans l’extraction et, plus généralement, d’une restructuration des industries rurales. Celles du feu (fer, verre et poterie) se localisent dans les régions déshéritées, tout en s’individualisant et en se spécialisant (tréfilerie, quincaillerie, etc.). Leur répartition répond aussi à la concurrence accrue dans la demande de combustible : les forges abandonnent les massifs forestiers orientaux sollicités d’abord par Paris ou Rouen. Il en résulte des formes modernes d’aménagement de la forêt, adaptées à la production industrielle du bois mais défavorables aux utilisations traditionnelles, en particulier à l’élevage du porc. Tout ceci est classique mais la précision et la finesse des analyses livrent au lecteur les étapes et les modalités des mutations opérées dans l’économie rurale non seulement à l’intérieur du secteur industriel mais aussi en agriculture (ainsi la multiplication des petits défrichements à la lisière des massifs, à la faveur des «fieffes » de terres vaines et vagues). L’organisation des forges concilie deux impératifs contradictoires : contraintes hydrauliques qui éloignent souvent les sites du fourneau, de l’affinerie et de la fenderie ; optimIsation des circuits internes qui invitent à regrouper les bâtiments de fabrication, de stockage et d’habitation. Cartes de situation, plans anciens et photographies viennent en rendre compte, selon l’esprit de la collection. L’analyse sociale souligne les liens entre la propagation de la sidérurgie, l’action de la classe seigneuriale — intéressée à la valorisation de son capital forestier à partir du XVIe siècle — , et les itinéraires des milieux spécialisés — maîtres de forges, fendeurs — qui passent d’une région à l’autre. L’ouvrage s’accompagne d’un appareil critique abondant (768 notes), d’instruments de travail complémentaires (répertoires des sites et prosopographie de différents groupes liés au travail du fer) et d’une publication de sources volumineuse (113 pièces justificatives) : on comprendra qu’il représente une véritable «mine » pour les historiens du monde rural, qui souligne avec éclat les apports de l’archéologie industrielle.

Jean-Marc Moriceau

Belhoste (Jean-François), Lecherbonnier (Yannick), Arnoux (Mathieu) et al., La métallurgie normande, Xlle-XVlle siècles. La révolution du haut fourneau (cahiers de l’Inventaire, n° 24), Caen, Association Histoire et Patrimoine Industriels de Basse-Normandie, 1991, 324 p., 400 F.

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