Lit XXL en guise de banc, bureau connecté, assise lumineuse… le mobilier urbain innove et se réapproprie un espace public où le piéton est devenu roi.
LE MONDE | | Par Véronique Lorelle
C’est un drôle d’objet, un sémaphore aux signaux multicolores, planté sur un trottoir du 11e arrondissement de Paris. Entre luminaire urbain, sculpture, totem… ce géant de céramique invite à se retrouver sous son chapeau lumineux pour travailler sur sa tablette, fumer autour de ses cendriers ou papoter. Il signale aussi l’entrée d’une exposition estivale ouverte à tous, celle du VIA (Valorisation et innovation dans l’ameublement français, la tête chercheuse de la filière), intitulée « Dehors, la ville de demain ».
A l’intérieur, bureau connecté aux allures de grand nichoir à oiseaux – en bois jaune serin avec un petit auvent à énergie solaire –, lit XXL de repos où s’asseoir ou s’étendre à plusieurs, installation de stretching… ce mobilier urbain innovant déclenche déjà le sourire. Il augure de nouvelles façons, plus décontractées et conviviales, de vivre la ville. L’enjeu n’est pas des moindres : les citadins représentent plus de la moitié de la population mondiale, et la densification urbaine est telle qu’ils s’approprient de plus en plus l’espace public, telle une pièce de vie complémentaire.
« Nous vivons une révolution urbaine, souligne le designer Marc Aurel, curateur de l’exposition avec son épouse, Caterina. Nous sommes un peu au même point que le baron Haussmann quand il a choisi, sous Napoléon III, de passer des ruelles médiévales aux grandes avenues, et donc d’embellir Paris en amenant de nouveaux services. L’espace public qui a été géré, après-guerre, pour et par l’automobile – d’où, notamment, ces 335 000 potelets dans la capitale – s’ouvre, pour des raisons de pollution et de santé, aux piétons. La question est de statuer pour quel usage : plus de terrasses de café, notamment, c’est plus de privé et de payant dans l’espace public », prévient le designer.
Jardinières géantes
L’exposition du VIA donne à voir les propositions innovantes de PME du secteur – dont ce sémaphore de Marc Aurel, distribué par le ligérien Tôlerie Forézienne, Janus de la prospective 2017 –, mais aussi les projets d’étudiants de l’Ecole nationale supérieure de création industrielle. Leurs maquettes de kitchenettes nomades, d’assises et de tables ingénieuses pour déjeuner dehors, de « pavillons » modulaires où s’asseoir, grimper, se rassembler… toutes générations confondues, sont à la mesure de leur vision d’une ville plurielle et hybride.
« Il y a vingt ans, j’étais seul spécialisé dans le mobilier urbain. Je suis heureux de voir que la jeune génération s’intéresse à ce métier : deux de leurs projets ont même été réalisés grandeur nature pour cette exposition », se félicite Marc Aurel, qui après avoir redessiné les Abribus du groupe JCDecaux à Paris, en forme de feuille, prépare de nouvelles entrées de métro, pour remplacer toutes celles qui n’ont pas été signées du célèbre Hector Guimard, figure de l’Art nouveau en France.
Les étudiants ne sont pas les seuls à se passionner pour la question. Les mégapoles commencent à se mesurer à coups d’installations design. L’heure est venue du retour de la couleur, des formes organiques, mais aussi de véritables propositions « intelligentes »… « Les villes n’aiment pas avoir la même chose, et nous répondons à cette demande de singularité en collaborant avec des designers extérieurs qui apportent chacun leur univers », explique Christophe Debrégeas, fondateur, il y a dix ans, de Cyria, à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).
Cet éditeur a ainsi fabriqué toute une collection en fine résille d’acier doré signée de Michel Wilmotte (avec jardinière, banc, bain de soleil et corbeilles qui, seules, ont pris place dans la cour d’honneur de l’Elysée), mais aussi les huit jardinières géantes alvéolées de Louis de Merindol, qui égaient le parvis de la gare Saint-Lazare, à Paris. Ou encore cette assise lumineuse du Belge Sébastien Wierinck, comme un long serpent d’Inox pour la place Thiers, à Nancy, pensé comme un lieu de rendez-vous et d’échange.
Car, au-delà du mobilier, les designers se saisissent d’une nouvelle ambition : recréer du lien social. Ainsi Matali Crasset a redessiné les kiosques à journaux, dans Paris, comme autant d’espaces de convivialité, plus chaleureux pour le client comme pour le marchand, qui peuvent se retrouver autour d’un café chaud et d’un large éventail de journaux. Pour une pratique sportive de rue, Philippe Starck a conçu la station Sport’Lib (pour Concept Sport), avec steps, sac de boxe, barres de suspension… installée, en mai, dans le parc des Impressionnistes, à Clichy (Hauts-de-Seine).
Faire tourner les têtes
Les frères Bouroullec, après leur exposition, à Rennes, en 2016, de maquettes intitulées « Rêveries urbaines » – « Un cahier de brouillon en 3D », expliquaient-ils, sur un sujet, l’aménagement des villes, qu’ils n’avaient pas encore abordé – ont reçu un flot de commandes. Ils ont déjà installé une pergola ombrageuse à Miami et un brasero avec des bancs circulaires autour d’arbres, à Aarhus, au Danemark. La Ville de Paris attend une série de fontaines pour les Champs-Elysées. Quant au plus innovant des projets, il est en cours à Rennes, dans leur région d’origine. Il s’agit de trois kiosques géants et lumineux, installés sur la Vilaine au printemps-été 2019, comme une extension inédite de l’espace urbain. Un lieu de concerts, de rendez-vous, d’enchantement au-dessus de l’eau…
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« C’est un mélange de belvédère, d’agora et de chapiteau de cirque, une sorte de merveille dans la lignée des “affolantes” des bords de Seine, ces bâtisses loufoques et flamboyantes du XIXe siècle… », explique Ronan Bouroullec. De quoi faire tourner les têtes des badauds et pas seulement. Déjà, Bordeaux projette, avec les frères Bouroullec, d’investir la Garonne.
galerie VIA, 120, avenue Ledru-Rollin,
Paris 11e. Entrée libre, jusqu’au 29 août.