Revue de presse (Le Monde) : Fonderie du Poitou

« Cette entreprise, je l’ai dans le corps » : à la Fonderie du Poitou Fonte, la fin d’un monde pour les métallos par

Publié le 02 août 2021 à 04h01

Extrait : 

“Quelques jours après avoir coulé ses derniers carters de moteurs pour Renault, l’usine installée à Ingrandes-sur-Vienne (Vienne) depuis 1981 a définitivement fermé ses portes. « Quand j’ai commencé ici, la première semaine je me suis dit je ne resterai jamais là-dedans” », confie Christophe Berger, embauché à l’âge de 20 ans. C’était le 16 octobre 1989. « Puis, vous vous retournez, dix ans ont passé, puis vingt… Aujourd’hui, j’y suis très attaché. Cette entreprise, je l’ai dans le corps. Alors la fermeture, c’est très dur. »

Pour comprendre cet attachement, il faut assister au spectacle de ces tonnes de ferraille qui deviennent fonte en fusion, cette crème de feu qui coule en projetant de petites étincelles pétillantes comme les bougies qui enchantent les gâteaux d’anniversaire. « Du solide, on passe au liquide. Dans les moules, tout vide devient matière… Après trente-deux ans ici, je suis toujours émerveillé… », explique Christophe avec poésie. Et amertume. « Jamais on n’aurait imaginé devoir partir d’ici. Le cœur est lourd. C’est une tristesse de perdre un savoir-faire comme ça. Cette technicité, ils vont le payer de ne plus l’avoir »,souffle-t-il, mi-défait, mi-rageur.”

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” Ces hommes se sentent « abandonnés », « trahis ». Un peu humiliés même. Par Renault, d’abord. Le constructeur a toujours été l’unique donneur d’ordre pour cette usine et sa voisine, la fonderie Aluminium (toujours, elle, sous observation), qu’il a implantées à Ingrandes il y a quarante ans pour relocaliser l’activité de son usine historique de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). C’est lui qui a donné le coup de grâce en décidant, en octobre 2020, de confier la production de son nouveau carter à l’espagnol Fagor plutôt qu’à la Fonderie du Poitou. Une politique de délocalisation, pour réduire les coûts de production, qui a précipité le destin d’autres fonderie”s françaises, comme celle de MBF Aluminium dans le Jura, liquidée début juillet.”

(…) 

« Des années qu’on dit qu’il faut diversifier »

De quoi susciter bien des rancœurs. Mais ce qui rend la fermeture si douloureuse, c’est aussi qu’elle signe l’amorce de la disparition du métier de la fonte en France, une option que les salariés n’imaginaient pas il y a encore trois ans. « En 2018, pour faire face à la demande, on faisait des réunions avec la direction pour s’organiser en 3 × 8 sur les deux lignes de production, week-end compris », se souvient Alain Delaveau. Et puis le « dieselgate », cette fraude aux émissions de CO2 mise au jour chez plusieurs constructeurs, a retourné le marché et réduit soudainement la production de moteurs diesel.

Article réservé à nos abonnésMême pour les moteurs essence, la fonte, matériau très résistant mais très lourd, n’a désormais plus le vent en poupe, alors qu’il faut alléger au maximum les véhicules pour réduire les émissions carbone. En 2019, la France a voté l’interdiction de vente des moteurs diesel et essence en 2040, échéance que la Commission européenne a proposé, ce 14 juillet, d’avancer à 2035.

(…) « On fait de la fonte, mais on pouvait faire autre chose que de la fonte automobile, poursuit le délégué CGT. Des haltères, des plaques d’égout… On aurait dégagé moins de marge, mais est-ce qu’en France, on n’a pas intérêt à garder des emplois quitte à être moins rentable ? Est-ce que garder des emplois n’est pas un gain ? Non, Bercy veut soutenir les industries d’avenir comme ils disent et, pour eux, nous, on est du passé ! »

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L’arrêt des fonderies, c’est « malheureusement le sens de l’histoire », lançait Luca de Meo, directeur général de Renault, sur France Inter, le 29 juin. Dans le cadre de ce plan de soutien, un fonds spécial de 50 millions pour la reconversion des fondeurs a été mis en place, cofinancé par l’Etat, Renault et Stellantis. Comme d’autres licenciés, ceux du Poitou bénéficieront d’un accompagnement d’un an avec un cabinet de conseil en ressources humaines, LHH, et du financement de formations.

Radouane Ettassi, 35 ans, dont le travail, au « noyautage », consistait à emboîter des pièces tels des Lego pour préparer les moules, un poste répétitif, veut y voir une opportunité. Il sait déjà ce qu’il veut faire : une formation de plombier-chauffagiste, un métier recherché. « Moi, ce boulot ne va pas me manquer ! Mais on est solidaires, on ne pense pas qu’à nous, confie-t-il. Ça représente quelque chose ici, cette usine. Mon père y est rentré en 1982, quatre ans avant ma naissance. Il est parti en préretraite, malade de l’amiante… »

(…)

« Quelque chose qui se crée entre les hommes »

Comment peuvent-ils regretter ce métier de forçat qui leur a coûté la santé ? A la fonderie, un poste est même si pénible qu’on l’appelle « Cayenne » : muni de deux marteaux et d’un masque ventilé, l’ouvrier tape toute la journée sur des pièces à 200 °C pour décoller les restes des éléments de moulage. « Peut-être à cause de ces conditions compliquées, il y a un caractère un peu gueulard, une ambiance, un lien particulier dans la fonderie, quelque chose qui se crée entre les hommes… », décrit Christophe Berger, tâtonnant avant de trouver le mot juste : « Il y a une âme. Comme à la mine avant. »

Aline Leclerc     Ingrandes-sur-Vienne (Vienne)

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