Revue de presse : (Le Monde) : autour de la statue du Général Lee à Charlottesville… du rôle politique des statues

Nous avons lu cet article de différentes façons : ici, nous proposons de regarder comment un monument devient  à la fois un enjeu de société, un lieu de focalisation des tensions ou des discours politiques et comment se règle (ou pas) la question d’une “épuration” de symboles devenus politiquement incorrects

source : https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/08/10/charlottesville-un-an-apres-la-haine-ordinaire_5341164_3222.html.

LE MONDE | • Mis à jour le | Par Arnaud Leparmentier (Charlottesville (Virginie), envoyé spécial)


Charlottesville, un an après, la haine ordinaire

Les tensions communautaires restent vives dans la ville de Virginie, après les violences d’août 2017, pendant lesquelles une militante antiraciste avait été écrasée par un néonazi.

La statue du général sudiste Robert Edward Lee dans Emancipation Park, à Charlottesville (Virginie), le 7 août.

La statue du général Lee est toujours là. Un an après les émeutes de Charlottesville, qui virent s’affronter l’extrême droite et les groupes afro-américains et la gauche radicale, le monument équestre à la gloire du général sudiste domine les jardins de Charlottesville. Comme si rien n’avait changé dans cette ville coquette de Virginie, berceau de trois présidents américains : Thomas Jefferson, James Madison et James Monroe.

Comme si la mort de Heather Heyer, militante de 32 ans écrasée par James Field, un néonazi de 20 ans, le 12 août 2017, avait été inutile. Comme si la terreur semée par les défilés du Ku Klux Klan, qu’on croyait d’un autre âge, et par l’extrême droite venue de toute l’Amérique pour protester contre le projet de retrait de la statue, n’avait pas suffi.

En réalité, tout a changé à Charlottesville. Le maire a changé, le chef de la police a changé, le directeur général de la ville a changé, et la statue n’a plus la même signification, comme l’explique Andrea Douglas, 53 ans, directrice du Centre sur l’héritage afro-américain de l’école Jefferson. Elle était le symbole d’un ordre établi dans les années 1920, érigée en une période de réaction, lorsque les Noirs furent privés de leurs droits civiques après la guerre de Sécession (1861-1865).

Elle est aujourd’hui l’incarnation d’un combat. Un conflit violent, qui a fait évoluer l’image d’une ville qui naguère passait pour l’une des plus agréables aux Etats-Unis. Depuis un an est apparue au grand jour la réalité décrite par la pasteure afro-américaine Brenda Brown-Grooms : Charlottesville est une « beautiful ugly city » (« une jolie ville laide »). Une charmante petite ville à la haine ordinaire.

Charlottesville est le reflet d’une Amérique plus déchirée que jamais, deux ans après l’élection de Trump, cinq ans après l’émergence du mouvement Black Lives Matter, lorsqu’on s’est aperçu que l’élection d’Obama n’avait rien réglé

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Pour faire saisir l’importance de la statue, dont on pourrait penser qu’il s’agit d’un héritage historique, Jalane Schmidt, 50 ans, professeur diplômée de Harvard et militante afro-américaine vêtue d’un tee-shirt Black Lives Matter, fait arpenter la cité. Elle commence par une plaque insérée dans le sol, grande comme une feuille de papier. « Marché aux esclaves : sur ce site étaient achetés et vendus des esclaves ». C’est tout. C’est tout pour les Afro-Américains qui représentaient la moitié de la ville lors de la guerre de Sécession.

Grand grief

A côté, trois statues de héros sécessionnistes, dont celle de Lee, semblent imposer leur ordre à la société. L’historiographie officielle fait l’éloge du palais de justice, où se croisèrent les futurs présidents Jefferson, Madison et Monroe, mais « oublie », selon Jalane Schmidt, de rappeler qu’il fut le lieu officiel de réunions du Ku Klux Klan dans les années 1920. Les Blancs n’avaient pas vraiment mesuré la puissance émotionnelle des statues.

« Au fil du temps, elles étaient devenues des reliques, mais certains ont voulu les repolitiser », estime Dave Norris, qui assure n’avoir quasiment jamais été interpellé sur le sujet par ses concitoyens. Mais, comme l’explique l’universitaire d’origine jamaïcaine Andrea Douglas, « les conditions qui ont permis à ces statues d’exister existent encore ».

On le réalise en écoutant la pasteure Brenda Brown-Grooms, née dans les sous-sols de l’hôpital public de Charlottesville dans les années 1950. « Jusqu’à l’an dernier, je n’avais jamais été dans les parcs où sont ces statues. » Un lieu pour Blancs, gagné sur les Noirs qui en furent expulsés dans les années 1920.

C’est le second grand grief des Afro-Américains : les gentrifications successives de la ville les ont chassés de la cité. Leur part dans la population est passée en dessous de 18 % et ils ont été relégués sur les pentes, alors que la ville blanche est en plateau. Dans cette cité aux maisons cossues, ils habitent quelques logements sociaux sans âme, grisâtres. Les Noirs restent confinés dans les métiers de services, payés au lance-pierres dans une agglomération au coût de la vie élevé, en raison de l’afflux d’Américains venus du Nord attirés par l’université de Virginie.

La ville et la puissante institution entretiennent, selon M. Norris, un rapport d’« amour-haine ». A l’université, l’entraîneur de l’équipe de football a été payé 3,4 millions de dollars l’an dernier, mais le personnel, souvent noir, gagne 8 dollars de l’heure, à peine au-dessus du salaire minimum. « L’université a une mentalité de plantation », accuse M. Norris. « Ce fut un choc quand je suis arrivée dans les années 1990. C’était ouvertement raciste », ajoute Andrea Douglas.

Charlottesville est aussi victime d’un malentendu : sa réputation a été souillée par l’extrême droite alors qu’elle compte très peu de néonazis. Elle n’est même pas trumpiste, ayant voté, en 2016, à 80 % pour Hillary Clinton et seulement à 13 % pour Donald Trump (au niveau du comté, le rapport de force fut 59 % – 34 %). Tous les conseillers municipaux sont démocrates, à l’exception de la maire Nikuyah Walker qui, en signe de défiance, s’est présentée comme indépendante.

La statue du troisième président des Etats-Unis, Thomas Jefferson, sur le campus de l’université de Virginie, à Charlottesville, le 7 août. JASON ANDREW POUR LE MONDE
Un mur en brique recouvert de messages commémore la mort de Heather Heyer, la jeune femme tuée le 12 août 2017, durant la manifestation « Unite the Right » qui a rassemblé des suprémacistes blancs venus de toute l’Amérique pour protester contre le retrait d’une statue de l’emblématique général Robert Lee.

Un mur en brique recouvert de messages commémore la mort de Heather Heyer, la jeune femme tuée le 12 août 2017, durant la manifestation « Unite the Right » qui a rassemblé des suprémacistes blancs venus de toute l’Amérique pour protester contre le retrait d’une statue de l’emblématique général Robert Lee. (Jason Andrew pour Le Monde).

« La goutte d’eau de trop »

Ses élites blanches – mais aussi noires – viennent souvent du Nord et sont démocrates, comme la conseillère municipale Heather Hill, 40 ans, originaire du nord de l’Etat de New York, à la frontière canadienne. Ces personnalités centristes sont très investies dans leur communauté. « Les Blancs viennent du Nord et se considèrent libéraux [de centre gauche], mais ils n’ont pas de problème avec les statues et la continuation de la suprématie blanche », accuse Jalane Schmidt.

Même son de cloche chez le militant afro-américain Don Gathers, qui abandonne quelques minutes son bureau d’accueil dans un hôtel pour nous recevoir :

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Les milieux économiques ne pipent mot, espérant que les affaires reviendront avec le calme. Les Afro-Américains exhument le passé. En juillet, une centaine de personnes, dont la maire Nikuyah Walker, est partie en pèlerinage à travers le Sud esclavagiste jusqu’au Mémorial du lynchage de Montgomery (Alabama). Ils ont ramené un peu de terre du lieu où un malheureux Afro-Américain oublié fut lynché en 1898, à deux pas de Charlottesville. Pour faire, un jour, pendant aux statues. Don Gathers en était, tout comme il était d’un voyage au printemps sur la traite négrière au Ghana.

Dans cette affaire, les militants afro-américains en font-ils trop ? « On ne peut pas être ainsi rabaissés et continuer à dire que c’est O.K. », estime Don Gathers. Ils accusent cet esprit du Sud, parler aimablement des choses pour que surtout rien ne change, et dénoncent le chantage à la bienséance. La maire revendique ce changement de ton, d’autant que son pouvoir est avant tout symbolique, l’exécutif étant dans les mains de l’Etat et du city manager – le retrait de la statue n’est même pas de son ressort, mais des tribunaux. « Quand j’ai candidaté, je ne savais même pas comment je nourrirais mes enfants. Je ne vais pas me demander si vous êtes à l’aise » dans ce processus de changement, a-t-elle lancé lundi au conseil municipal.

A force d’exprimer leur rancœur, les Noirs peuvent donner le sentiment d’une haine ­antiblanc. Le reproche vise notamment Wes Bellamy, élu fin 2015 au conseil municipal. Cet homme venu de Géorgie s’est attaqué à la statue de Lee, et c’est alors qu’on a découvert sa jeunesse peu glorieuse lorsqu’une série de tweets antiblanc, homophobes et sexistes ont été exhumés. « Je n’aime pas les Blancs, donc je déteste la neige », écrivit-il en 2009, tandis qu’il retweetait un message invitant à surprendre une femme dans son sommeil : « Si elle gémit, ce n’est pas un viol. »

La militante ­Jalane Schmidt le défend. « Il a écrit cela quand il était jeune, ce n’est pas représentatif de ce qu’il est. Il a présenté ses excuses, mais cela a donné beaucoup de munitions aux suprémacistes blancs, qui ont pu dire qu’il était raciste antiblanc. » Ces tweets ont été révélés par Jason Kessler, 34 ans, l’organisateur du défilé de 2017 sous le slogan « Unite the Right », qui organise un nouveau rassemblement dimanche à Washington.

A l’approche de la date anniversaire, Charlottesville est en état de siège. (…)

Permis de manifester sa haine, en vertu du Ier amendement de la Constitution américaine, effectivement. Le président [Trump] avait provoqué une immense indignation, en expliquant qu’à Charlottesville, il y avait « des torts de deux côtés », « des types très bien des deux côtés » et avait demandé s’il fallait enlever les statues de George Washington sous prétexte qu’il possédait des esclaves. (…)

lire l’intégralité du texte (ainsi que les illustrations) sur le site du Monde.

 

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