Mobilier urbain : enfoncer le clou

Dans les trottoirs pour mieux guider le passant, le touriste.

Il y avait les plaques de voierie (nom poli pour les plaques d’égout). Mieux que la publicité peinte qui a fait un flop récemment, voici du durable…

Revue de presse : Le Monde paru le 3 février

“Le vice du clou” par Olivier Razemon

Sur la voirie, des mairies essaiment des médaillons de cuivre gravés pour faire vivre leur patrimoine local

Une fleur de lys, une horloge, un oiseau, une tour cathare… Il suffit de baisser les yeux pour les apercevoir. Gravés sur de petits clous cuivrés -fichés dans le sol, ces symboles s’affichent sous les pieds des passants dans de nombreuses villes. D’un diamètre de 10 à 15 centimètres, les ” clous de voirie “, comme les aménageurs ont baptisé ce discret mobilier urbain, luisent sur les dalles des rues piétonnes les jours de pluie, ou brillent sous le soleil dans la poussière des trottoirs. Cette mode consistant à fixer des emblèmes au sol se répand depuis quelques -années. Montpellier (Hérault) a scellé ses clous en 2004, Metz (Moselle) s’y est mise en 2007, Dole (Jura) en 2011, -Vannes (Morbihan) en 2016. ” Le -volume des commandes progresse régulièrement, émanant de villes qui veulent mettre en valeur leur patrimoine “, -constate Alexandre Collomb-Clerc, responsable de la société Openspace, spécialisée en mobilier urbain.

La chouette guide les touristes au centre de ville de Dijon

Ces clous ne sont pas des nouveaux venus en ville. Ils servaient autrefois à matérialiser les cheminements permettant aux piétons de traverser la rue. Ils ont été remplacés dès les années 1960 par des bandes blanches, mais les expressions ” rester dans les clous ” ou ” traverser en dehors des clous ” perdurent. De nos jours, ces petits éléments de voirie sont affectés à diverses fonctions. Des municipalités mais aussi des institutions privées, musées ou entreprises, en installent pour délimiter des places de stationnement, une bande cyclable ou une terrasse de café. Généralement métalliques, plus rarement en plastique, ils sont parfois dotés d'” yeux de chat “, des billes de verre réfléchissant la -lumière dès qu’il fait nuit.

De plus en plus, on leur assigne une délicate mission, consistant à valoriser le patrimoine. L’enjeu est crucial dans les villes petites et moyennes, touchées par la dévitalisation des commerces, une proportion croissante de logements vides et l’indifférence des touristes. Dès lors, les clous, aussi baptisés ” médaillons “, sonnent comme autant d’opérations promotionnelles : ” Voyez le blason, vous êtes bien à Digne-les-Bains “, ” Ici Toulon, un indice, voici une ancre”, ou encore ” C’est Chalon-sur-Saône, la preuve, c’est écrit par terre”. Moins solennels que les plaques de marbre apposées aux murs, plus élégants que les panneaux de signalisation, plus pérennes que les dépliants touristiques, les clous de voirie se sont imposés comme outils de promotion.

Il est difficile de déterminer qui a eu, le premier, l’idée de faire de ces -morceaux de métal des ambassadeurs de la ville. Un collectionneur savoyard, -Michel Mazzella, possède un clou frappé de l’écusson de la ville d’Annecy (Haute-Savoie), œuvre d’un sculpteur de -Rumilly (Haute-Savoie) destinée à ” clouter les rues pavées du vieil Annecy, mais qui n’a jamais servi “, raconte-t-il sur son blog. A Paris, depuis 2000, des médaillons sculptés au nom de François Arago, astronome et homme politique, marquent la ” méridienne verte “, qui matérialise le méridien de Paris. Mais, s’il y a un précurseur de la tendance, il est peut-être à chercher à Nîmes (Gard). Dans les années 1980, le designer -Philippe Starck, sous l’impulsion du maire de l’époque, Jean Bousquet, a remis au goût du jour le crocodile, qui ornait des pièces de monnaie sous l’Empire romain. La vedette du design a placé cet emblème sur le logo de la ville, un abri d’autobus de sa création et des clous dorés qui parsèment l’Ecusson, le centre ancien de Nîmes. Ce blason ” ne manque pas de piquer la curiosité des visiteurs “, peut-on lire sur le site de la ville.

Car les clous de voirie ont une vocation avant tout patrimoniale. A Tournus (Saône-et-Loire), la municipalité en a installé une vingtaine en 2010 pour matérialiser un circuit de découverte. ” Nous avions suivi l’exemple du parcours de la chouette, à Dijon, qui mène les touristes d’une attraction touristique à une autre “, explique -Monique Monnot, alors adjointe à la culture de cette ville de 5 700 habitants des bords de Saône. Les clous fichés dans le pavé tournusien, triangulaires, sont gravés de la représentation d’un personnage local, Gerlannus. Cette tête sculptée orne un chapiteau de la chapelle Saint-Michel, attenante à l’église abbatiale Saint-Philibert, la fierté de la ville. Comme Tournus, Metz a matérialisé des parcours à l’aide de symboles facilement reconnaissables, la façade de l’opéra, l’horloge de la gare ou Graoully, le dragon qui a, selon la légende, terrorisé la population messine avant que celle- ci ne se convertisse au christianisme. A Besançon (Doubs), il faut suivre des flèches, triangles de bronze décorés d’horloges comtoises ou de la citadelle. A Auxerre (Yonne), c’est Cadet Rousselle, un excentrique huissier à qui l’on fit une chanson, qui accompagne les visiteurs.

Le choix du symbole appelé à être gravé dans le métal revêt la plus haute importance, au point que c’est parfois le maire en personne qui préside à cette décision. L’image ou l’inscription doit rappeler l’histoire ou la géographie de la ville, susciter la curiosité, sans oublier l’aspect esthétique. Cognac (Charente) a ainsi choisi un alambic, Auvers-sur-Oise (Val-d’Oise), la signature de Vincent Van Gogh et Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), un féroce ” chien du guet “, chargé autrefois de surveiller les alentours des remparts à la nuit tombée. A Orléans (Loiret), on peut voir, sur le sol, une Jeanne d’Arc sur son cheval, portant une bannière manifestement surdimensionnée. ” Les municipalités aimeraient inscrire le plus possible de choses sur un clou le plus petit possible “, sourit M. Collomb-Clerc.

D’autres villes ont choisi un symbole bien connu, la coquille Saint-Jacques. Le parcours remplit alors une double fonction, matérialiser le centre-ville et indiquer aux pèlerins la direction de Compostelle. D’une ville à l’autre, les médaillons ne se ressemblent pas forcément. La coquille est -tantôt stylisée, tantôt agrémentée d’un logo ou d’une inscription. Compostelle 2000, l’association francilienne des amis de Saint-Jacques, aimerait en poser davantage. ” Nous avons convaincu une douzaine de localités d’Ile- de-France de placer des coquilles en bronze, mais Paris n’a pas répondu à nos sollicitations. Il en faudrait 300 dans la capitale “, -argumente Jean-François Fejoz, responsable du balisage de l’association.

Quelle que soit la ville, les balises métalliques sont l’apanage du cœur de ville, le quartier qui symbolise le mieux l’identité citadine. Dans la banlieue parisienne, Courbevoie s’est dotée en 2013 de clous en bronze portant le blason (un pont sur la Seine) et l’inscription ” Ville de Courbevoie, Hauts-de-Seine “. On peut voir ces médaillons avenue de la -Liberté, non loin de la gare de Bécon-les-Bruyères, ” dans un quartier à caractère -haussmannien, qui symbolise bien le centre-ville “, indique Gérald -Chirouze, directeur des services techniques.

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