Souvent, dans les histoires d’entreprises, surgit le nom de Léon Harmel, comme modèle pour de nombreux patrons du XIXe siècle. Ainsi, dans le numéro 98 de la revue Fontes, on peut découvrir les liens entre Harmel et Denonvilliers. Pour en savoir plus, voici un article paru dans le journal le Monde.
Reste à savoir de quel Harmel on parle, car, au fil du temps, le patron de l’usine de Warmeriville a beaucoup évolué pour se rapprocher de la République, de la défense du rôle de l’Etat pour protéger les faibles, les ouvriers… Il est donc l’un des précurseurs du mouvement démocrate-chrétien. Son apport dans l’urbanisme, le logement, l’organisation de la cité mérite aussi d’être signalé et souligné. Voir à ce sujet l’article de Wikipédia.
[divider]L’entreprise sociale et responsable est née… en 1841
LE MONDE ECONOMIE Par Pierre-Yves Gomez (Professeur à l’EM Lyon)
Imaginons une entreprise de taille humaine d’au maximum 700 salariés. L’usine de production principale est bâtie dans un parc, où se trouve aussi un théâtre, une école, une garderie et une chapelle. Le patron n’habite pas une luxueuse villa dans la banlieue riche mais sur le site, à côté de l’usine. Des logements sociaux sont proposés aux employés et les loyers sont fixés par les ouvriers.
L’entreprise n’est pas cotée en Bourse. Elle est détenue par une famille depuis trois générations. Elle traverse les crises grâce à la stabilité de son actionnariat. Fait remarquable, elle est gouvernée par un conseil d’usine composé du dirigeant, d’un ouvrier et de six assesseurs ouvriers.
Le rôle du conseil est triple : assurer la coopération entre le capital et le travail en faisant remonter au dirigeant les problèmes rencontrés dans les ateliers ; associer les salariés à la vie de l’entreprise, à ses difficultés et à ses perspectives ; gérer une caisse d’assistance destinée au personnel en difficulté. La direction de l’entreprise est assurée par le dirigeant, mais les salariés participent directement à son gouvernement et ils contribuent aux décisions, y compris opérationnelles.
Fondée en 1790 en Belgique par la famille Harmel, cette entreprise fut, pendant cent cinquante ans, une filature de laine prospère. Installée à partir de 1841 au Val des Bois, dans la Marne, elle était considérée par des entrepreneurs du monde entier comme l’exemple du capitalisme à visage humain. Performante, elle a traversé toutes les crises du textile entre 1880 et 1920 et développé des filiales en Europe.
Son dirigeant charismatique, Léon Harmel (1829-1915), encouragea le syndicalisme ouvrier, persuadé que la participation des salariés aux affaires était non seulement une question de justice, mais aussi d’efficacité économique. Il prôna longtemps un syndicalisme mixte, associant patrons et salariés dans une logique de branche, mais il finit par soutenir le développement de syndicats strictement ouvriers, déçu par les réticences du patronat à jouer le jeu du dialogue.
Catholique social
Léon Harmel mourut le 25 novembre 1915. Il y a donc très exactement un siècle, les questions de gouvernance actuelles étaient donc déjà posées et elles donnaient lieu à de multiples expériences économiques, comme celle du Val des Bois. La figure de « l’entrepreneur social », qui se veut aujourd’hui l’archétype du capitalisme humaniste, y était déjà dessinée et discutée. Harmel l’analysa avec une particulière acuité en posant deux grandes questions.
Première question, le dirigeant, fût-il social, n’est-il pas par nature en opposition avec ses employés, du fait de la division capitaliste entre capital et travail ? Pour Harmel, cette opposition était un fait qu’il ne fallait pas nier mais dépasser par l’association des travailleurs au gouvernement de l’entreprise. Parce que leurs intérêts sont différents, le bien commun exige leur participation.
Deuxième question, le progrès social doit-il être abandonné aux entreprises ou l’Etat doit-il en prendre sa part ? Pour Harmel, l’entreprise joue un rôle essentiel en ce domaine (il lancera lui-même des caisses mutuelles), mais il se méfie du paternalisme charitable. Contre les libéraux, il considère qu’on ne peut pas laisser aux seules élites économiques le souci d’améliorer les conditions de travail. L’Etat doit aussi imposer la justice sociale.
L’occupant allemand détruisit l’usine Harmel en 1918. L’expérience ne s’en releva jamais complètement et le site du Val des Bois a disparu. Mais il ne fut pas sans postérité. Catholique très engagé, Léon Harmel inspira l’encyclique Rerum novarum de 1891, qui affirma la prééminence du travail sur le capital et appelait à leur collaboration pour gouverner les entreprises. Cette doctrine fut mobilisée plus tard par le sociologue jésuite Oswald von Nell-Breuning, principal théoricien de la codétermination en Allemagne avec son livre Mitbestimmung (1950). Patiente revanche de l’Histoire, Harmel, pillé par les Allemands, fut finalement à l’origine du modèle de gouvernance des entreprises allemandes.[divider]
Lire aussi : https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on_Harmel