Les artistes et la Commune (revue de presse) : à propos de Courbet…

Grâce au site retronews, nous pouvons voir et lire cet entretien. Courbet n’avait pas voulu détruire la colonne Vendôme, mais la déplacer dans un musée (comme on le fait ou veut le faire pour certaines statues contestées aujourd’hui.

Lire aussi : https://www.retronews.fr/politique/echo-de-presse/2018/10/05/courbet-le-communard

INTERVIEW

La Commune vue par les arts : mémoires d’une révolution

Selon l’historien Bertrand Tillier, « en matérialisant les idéaux de la Commune, les artistes voulaient régénérer politiquement et moralement la société ». De quelles façons cette implication s’est-elle traduite ? Quel bilan peut-on tirer de leur révolte face au pouvoir d’Adolphe Thiers ? (extraits)

“La colonne Vendôme renversée”, tableau de Paul Robert, 1871 – source : Musée d’art Paul Eluard-WikiCommons

(…)

En quoi consiste leur engagement politique ?

A la faveur de la guerre de 1870 et du siège de Paris, beaucoup d’artistes ont été enrôlés dans la Garde Nationale… Ce regroupement de citoyens en armes va progressivement se radicaliser jusqu’à devenir le bras armé de la Commune. Les artistes qui en font partie vont se politiser et devenir, dès les premières heures de la Commune, des acteurs particulièrement impliqués.

Il y a également ceux qui vont adhérer aux idéaux de la Commune et vont obtenir des mandats politiques d’élus d’arrondissement. On va les voir siéger dans les différentes instances auprès des communards.

Et puis il y a une autre configuration, celle de la Fédération des artistes. Gustave Courbet, un peintre qui a fondé le réalisme et construit une carrière d’opposant à Napoléon III sous le Second Empire en se déclarant républicain, socialiste et révolutionnaire, va prendre, à la faveur du siège, la présidence de cette organisation, née grâce à la Commune, et qui a pour vocation de gérer les intérêts des artistes. C’est une organisation professionnelle qui regroupe des peintres, des sculpteurs, des graveurs, des dessinateurs mais également toutes sortes de créateurs qui sont à la limite du statut de l’artiste et de l’artisan d’art… Elle est ouverte à un grand nombre de profils. C’est une structure d’autogestion de la vie artistique.

Ce n’est donc pas une structure révolutionnaire à proprement parler ?

Non, en effet. Dans ces circonstances si particulières, les artistes peuvent être confrontés à des difficultés économiques. Il s’agit de les soutenir, notamment en leur fournissant des commandes. Il s’agit aussi de gérer les questions patrimoniales, notamment les collections des musées, le Louvre ou le musée du Luxembourg. Il y a ces différentes facettes. C’est un organisme essentiellement administratif mais qui permet malgré tout aux artistes de contribuer à la cause de la Commune.

Leur engagement est-il également artistique ?

Tout à fait. Cependant, la Commune ne dure pas assez longtemps pour permettre la production d’œuvres… La Fédération des artistes tient plus de l’intention. C’est une plateforme de débats, de décrets au journal officiel, de délibérations, d’échanges. En 1871, il n’y a pas le Grand Concours comme en 1848, avec la production d’une effigie républicaine. C’est réellement une question de calendrier. C’est seulement le 17 avril que la Fédération sera officiellement constituée, c’est-à-dire un mois après le début de la Commune et un mois avant sa fin. Cette temporalité est extrêmement courte.

Après la Semaine sanglante, beaucoup d’artistes ont-ils subi les foudres des « Versaillais » ?

Ceux qui étaient engagés dans la Garde Nationale ont été inquiétés. D’autres susceptibles de l’être se sont cachés ou se sont exilés… D’autres encore ont été arrêtés et condamnés. Les artistes n’ont pas échappé à la répression qui s’est appliquée à l’encontre de tout citoyen ayant pris part à des actions.

Pour les artistes, quel bilan peut-on tirer de cet épisode au final très bref et intense ?

A la fin du XIXe siècle, on retrouve une mémoire de la Commune, sous-jacente, dans un grand nombre d’œuvres, notamment par le biais de la peinture de ruines et d’un certain rapport à la gravure ou à la photographie. Par ailleurs, il y a un arsenal de réflexions et décisions conduites au sein de la Fédération des artistes qui, à partir de 1890, vont être reprises par la IIIeRépublique, notamment à la faveur d’un retour massif des artistes en France.

Elles vont servir de socle à plusieurs réformes visant l’enseignement des arts ou l’organisation des salons. Les idées de la Commune avaient, depuis ; infusé dans la société française.

Les revendications de la Fédération des artistes rejoignent celles des communards ?

Il y a bien évidemment un alignement autour de l’autogestion, de l’indépendance, de la fraternité, de l’égalité, mais aussi des spécificités. La question de la liberté de l’art, avec une revendication très forte à être indépendants, et celle de la responsabilité sociale et morale de l’artiste sont très importantes. C’est la tradition jacobine révolutionnaire.

En matérialisant les idéaux de la Commune, les artistes veulent régénérer politiquement et moralement la société. Il s’agit de produire des œuvres qui auront une efficacité sociale sur les citoyens. Il s’agit notamment d’ouvrir les musées au public pour en faire des lieux d’éducation populaire et d’introduire la formation au dessin et à la peinture dans le système scolaire. Les artistes participent à l’organisation des grandes commémorations. L’organisation de concours pour des décors d’édifices, des monuments…

Il y a aussi le fameux épisode de la colonne Vendôme, avec l’implication de Courbet.

C’est un des évènements symboliques les plus forts de la Commune dans l’espace public. On décide d’abattre ce monument, qui est considéré comme le symbole napoléonien de la guerre entre les peuples. La colonne Vendôme est en contradiction ouverte avec les valeurs de fraternité, de pacifisme et de solidarité que porte la Commune. Le décret visant à la faire tomber va associer Courbet.

C’est, par définition, un artiste très atypique. Par sa situation, par sa réputation, par son sens du scandale, par ses succès au Salon, il occupe une position centrale au lendemain de la Révolution de 1848. Il est en lien avec un grand nombre de journalistes, de critiques, d’écrivains, d’intellectuels qui seront, d’une manière ou d’une autre, sollicités par la Commune. Dès l’automne 1870, il a publié un appel au déboulonnage dans la presse. Il voulait transférer la colonne dans un musée. En mai 1871, elle sera mise à bas et on l’accusera d’être l’instigateur de cette action. Cela lui vaudra d’être traduit devant le Conseil de guerre et d’écoper d’une peine de prison.

Bertrand Tillier est historien de l’art et des images. Il est professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne et directeur des Editions de la Sorbonne.

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