La fonderie et la fonte d’ornement signée de Dietrich

La fonderie et la fonte d’ornement signée de Dietrich

Une récente (2010) exposition à Baccarat a permis de découvrir l’importance de la fonderie alsacienne de Dietrich qui s’est positionnée pendant un temps sur la fonte d’ornement avant de prendre d’autres chemins. Nous vous proposons un petit retour sur cette histoire grâce aux objets exposés en Lorraine et aux textes de l’exposition.

L’Alsace comme toutes les autres régions a la forêt, l’eau, le minerai. Dès 1602, une forge s’installe à Jaegerthal qui ne survit pas au passage des Suédois dans les guerres qui ravagent  les pays germaniques et l’Est de la France. Elle est reprise par un banquier strasbourgeois de Dietrich en 1685. Bien que protestant dans un pays qui vient de révoquer l’Edit de Nantes, il produit des fers très utiles au Royaume : Jean de Dietrich sera anobli en 1761, développe l’affaire, acquiert la forge de Rothau, la fonderie de Zinswiller, créee le laminoir de Rauschenwiller, les fonderies de Reichshoffen et de Niederbronn.  L’emblème de la maison est le cor de chasse.

La Révolution déstabilise cette croissance : maire de Strasbourg, ami de Lavoisier, Philippe-Frédéric de Diétrich est exécuté en 1793. Son fils réinvestit dans l’entreprise mais décède en 1806, la laissant en position difficile.

“la Veuve Diétrich” : 38 ans de combat pour la survie de l’entreprise

Amélie de Berckheim, son épouse, se trouve à la tête d’une entreprise ancienne, prestigieuse, mais en grande fragilité. Son combat, jusqu’à sa mort, sera d’abord de sauver la fonderie et de lui donner une orientation différente. Ce personnage d’exception mérite d’être salué en un temps où les femmes chefs d’entreprise étaient rares, encore plus dans la métallurgie. Elle adaptera la production de façon à optimiser les résultats, elle prendra en charge les fonctions de direction, allant jusqu’à faire la comptabilité, se battant contre les concurrents ou les hommes bien-pensants qui se voyaient à sa place.

Pour tenir ses prix de revient et éviter d’essuyer des pertes analogues à celles de 1812, la firme limita volontairement sa production de fonte aux quantités pouvant être obtenues à partir des cinquante-huit mille stères annuels du bois d’affectation. Le haut- fourneau de Niederbronn fut arrêté et remplacé par une fonderie. En 1823, celui de Reichshoffen fut fermé à son tour. Ces deux sites ne produisirent plus, désormais, que des fontes moulées et des fers à partir de gueuses de fonte brute provenant des hauts-fourneaux de Jaegerthal et de Zinswiller. La production se diversifia : aux poêles livrés par l’usine de Zinswiller et aux boulets livrés par celle de Reichshoffen s’ajoutèrent de grandes pièces mécaniques moulées et des éléments de chaudières pour les manufactures haut-rhinoises ainsi que des essieux de chariots, des cercles laminés et des socs de charrue (source Michel Hau)

Pendant ses trente-huit ans de gestion, elle fera passer la fonderie d’une production de fonte moulée peu différente de nombre de ses concurrents à la production de biens d’équipement  dont le XIXe siècle avait besoin  : navires, machines à vapeur, matériel ferroviaire, grues, réservoirs. La fonte d’ornement qui valu à la Veuve Dietrich des médailles décernées par la SEIN aux expositions nationales  n’est qu’un épisode, une production qui sera abandonnée pour d’autres marchés. Parallèlement, elle décidera une politique sociale très forte avec formation du personnel, logement, caisse de prévoyance, gratuité des soins… C’était l’époque où le patronat protestant pensait que le revenu du chef d’entreprise ne pouvait pas décemment dépasser de cent fois le salaire de l’ouvrier. Et que les gains devaient être d’abord être réinvestis dans l’entreprise au lieu d’être dépensés dans des consommations ostentatoires.

En quelques années (1837-1841), la Société avait réusi sa diversification, plafonnant sa production sidérurgique et prenant pied dans un domaine d’activité entièrement nouveau, celui de la construction mécanique. En créant l’atelier de construction mécanique de Reichshoff en Amélie avait dégagé la firme d’une dépendance trop étroite à l’égard des ressources locales en matières premières et ouvert la voie à son développement ultérieur. Le rétablissement de l’entreprise de Dietrich par Jean Albert Frédéric puis par sa veuve nous invite à nous interroger sur la validité de l’idée souvent exprimée, selon laquellelesoucidepérennitédynastiqueauraitétéunfacteurdesclérosepourlesen treprises : dans ce cas précis, il apparaît au contraire que le sens d’une continuité à travers les générations a poussé plusieurs fois les dirigeants à adopter des perspectives à long terme, à sacrifier les gains immédiats pour des buts plus lointains, à investir dans l’éducationdeleursfuturssuccesseursetàpréparerdesreconversions.PourJeanAl bert Frédéric ou pour Amélie, l’intégrité de l’entreprise et son avenir ont nettement primé sur toute autre considération. Face aux mêmes problèmes, un gestionnaire pré occupé de rentabilité à court terme aurait peut-être préféré liquider purement et simplement certains sites industriels, voire l’entreprise toute entière, pour préserver un capital financier. Ces choix opposés reposent sur une même soumission à la rationalité économique. Seul diffère le terme envisagé. Guère plus d’une vie d’homme pour des dirigeants marqués par l’individualisme moderne, le sens du droit de propriété et le rejet de contraintes familiales trop pesantes. Mais beaucoup plus, au contraire, pour des dirigeants se sentant dépositaires d’un héritage et croyant devoir le transmettre aux générations suivantes. Ceux qui respectent le plus leur passé peuvent être parfois aussi ceux qui se préoccupent le plus de l’avenir. (Michel Hau)

Les fontes d’ornement

L’exposition de 2010 a permis de voir des modèles et des pièces réalisées fin XVIIIe siècle et au début du siècle suivant. Des plaques modèles en bois pour taques de cheminée (Bacchus enfant, Vénus…), des balustres, des grilles, des consoles, des vases plus ou moins ornés, des croix de cimetière… Ces produits sont courants au XVIIIe siècle. Puis, avec le développement de la statuaire, des pièces plus complexes apparaissent : l’exposition montrait un modèle en zinc d’une tête de cheval,  des griffons… Des objets comme des têtes de femmes voilées (ornements funéraires), du mobilier de jardin : des bancs, fauteuils en fonte… La vasque de Dietrich qui date du XVIIIe siècle était présente avec un tirage à partir d’un modèle déposé à l’école de fonderie Loritz à Nancy. Les quelques photos ci-après dans la galerie montrent les pièces anciennes : l’exposition était complétée par des productions modernes de la société VHM à Molsheim.


En savoir plus : http://fr.wikipedia.org/wiki/De_Dietrich

L’association de Dietrich : http://www.dedietrich.com/francais/cult/f_asso.htm

sur Amélie de Berckheim, http://femmesremarquablesalsace.com/fr/11823266742200-amelie-de-berckheim.html

Source  : Michel Hau  Naufrage et redressement d’une grande entreprise métallurgique De Dietrich In: Histoire, économie et société. 1993, 12e année, n°1. pp. 77-92.

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