Nous avons reçu cette alerte que nous relayons : elle est fort documentée et elle concerne un lieu qui a marqué l’histoire de la fonte d’art…
“Une destruction annoncée
Vous sachant au moins sensibles, sinon impliqués, ou voire même acteurs importants dans la mise en valeur et de la préservation du patrimoine industriel de notre région, nous nous permettons de vous faire part de la destruction programmée d’un vestige du passé industriel de la Haute-Marne.
En effet, la municipalité de Joinville a voté jeudi 8 novembre la vente des terrains de « l’usine du Rongeant » (surnommée aussi « le Paradis ») à l’entreprise voisine EMC2, qui souhaite s’agrandir. Plus que la vente d’un bien communal, c’est l’autorisation de détruire les bâtiments de l’usine du Rongeant qui a été votée dans la même délibération.
De quoi s’agit-il ? (photos et documents ci-dessous)
A l’emplacement de notre usine, l’existence d’un bocard et patouillet à la confluence Marne/Rongeant est mentionnée en 1821. Vers 1837 est construit un haut-fourneau mu avec une roue hydraulique (installée à l’emplacement du bocard) par le maître de Forges Guénard de la Tour. C’est la halle qui subsiste actuellement, avec des logements contigus. Capitain-Geny devient propriétaire en 1910, on y pratique la fonderie à la main jusque 1933. Durant un temps y sont entreposés les modèles de l’usine Ferry (d’où le surnom de « Paradis »), modèles maintenant déposés à Dommartin-le-Franc et dont l’inventaire se poursuit actuellement.
Bibliographie indicative
ALVES Gilles, « Patrimoine Industriel Haute-Marne », Indicateur du Patrimoine, 1997 (notice n°105 « Le Rongeant »).
BEGUINOT Pierre « Une grande industrie haut-marnaise disparue : La fabrication de la fonte et du fer », 1977 (cf pp. 105-107)
(Coll.), « La métallurgie de la Haute-Marne du Moyen-Age au XXe siècle », collection Cahiers du Patrimoine, 1997 (notice p. 263).
Les vieux démons du « monde d’avant » qui resurgissent
Cette décision ne manquera pas d’étonner, alors que la ville de Joinville a plutôt l’habitude depuis quelques années de faire parler d’elle pour ses restaurations ambitieuses et sa politique vertueuse. C’est vrai. Mais une municipalité, c’est une équipe, des profils variés, des avis divers. On ne manquera pas d’observer que les promoteurs de la destruction sont, si ce n’est les survivants, au moins les héritiers des périodes précédant le renouveau qu’on connait.
De ces époques où on a détruit (ou laisser détruire) le Val d’Osne par exemple.
De ces époques où on a voté la destruction des Halles de Joinville, datant du 16e siècle, et pourtant classées au titre des monuments Historiques. Halles détruite en 1955. Pourquoi ? Les raisons évoquées par les élus de l’époque qu’on a interrogé, sont aussi diverses qu’imprécises … soit-disant des ordres venus « de plus haut », un mauvais état général, une gêne pour les riverains. Bref, pour être clair, pas de raisons bien précises ni de projet bien ficelé : les halles gênaient, cela suffisait pour le sort en soit scellé … Il semble donc que l’histoire se répète.
Alors qu’il convient de saluer aujourd’hui les initiatives des voisins de Dommartin (Metallurgic Park, mais aussi le futur conservatoire, l’inventaire en cours du fonds Ferry), le Paradis à Sommevoire, les actions de l’ASPM, le modèle de reconversion de nos voisins meusiens d’Ecurey etc. à Joinville on retombe momentanément dans le bon vieux travers d’avant, le processus destruction/bétonnage du siècle dernier.
Plus que les faits eux-mêmes, c’est la manière qui irrite
Admettons qu’in fine, tout bien pesé, la destruction soit vraiment la seule solution. Très bien. Mais qu’a-t-il été fait pour l’éviter ? Aura-t-on consacré au moins quelques instants à étudier d’autres possibilités ? Le développement d’EMC2 implique-t-il forcément la destruction ?
Et plus largement, quid du projet Pays d’Art et d’Histoire, des réflexions dans le cadre du SCOT … bref d’une vision globale de territoire qui intégrerait les projets cités précédemment ? Quel lien entre l’habituel discours qui prône la cohérence territoriale et cette brutale manière de faire ?
La précipitation, soudaine et sans concertation plus large, ne manque pas en effet de poser question : la demande d’agrandissement de l’entreprise voisine date d’octobre, on vote la destruction le mois qui suit, pour que tout soit opérationnel dès les moissons 2019.
Plus que la destruction en elle-même, je crois que c’est cette désinvolture, systématique et inéluctable, cet éternel recommencement, absurde et poisseux, qui contribue à alimenter le fatalisme des haut-marnais, et qu’on ne manquera pas de déplorer quelques temps après.”