Editorial de Fontes (juillet 2008)
Grandeur et décadence d’un genre
Alors que dans les musées, les palais, les lieux de mémoire, le buste trône en bonne et glorieuse place, dans notre espace contemporain, il est désormais absent. Ou, pire, quand il est présent, c’est pour être tenu en piètre estime, voire dénigré…
Comment se fait-il que ce mode de représentation, ce portrait en trois dimensions, si apprécié jusqu’à la fin de la Belle époque, a pu être ainsi rejeté, banni, alors que la sculpture, la peinture ont aisément franchi les crises esthétiques du XXe siècle?
Voir ici : https://www.fontesdart.org/?p=16035
L’exposition proposée par l’ASPM en cet été 2008 a pris comme titre ironique: L’éternité. Et après?
C’est une façon de montrer que, malgré ce désir de « durer », de s’inscrire dans le marbre, le bronze, pour défier le temps, ce n’est pas gagné. Que le purgatoire vient après l’ascension au Parnasse, résidence d’Apollon et des Muses, et que le purgatoire, comme dans une inversion du cycle chrétien, peut conduire à l’enfer, pas celui — tant convoité — des ouvrages mal pensants, mais celui de l’oubli.
Le Paradis de Dommartin-le-Franc abrite, ainsi, une bonne trentaine de bustes d’hommes et de femmes qui ont pensé, eux ou leurs proches, défier le temps en se faisant statufier. Or, cent à cent cinquante ans après, c’est l’oubli total. L’ombre de l’anonymat est venu recouvrir ces têtes de personnages qui ont vécu, ont aimé, ont été appréciés ou détestés: mis à part la signature du sculpteur, il ne reste rien.
Le visiteur de l’exposition pourra en retirer quelques réflexions :
• L’artiste, finalement, dure plus longtemps que son modèle: du moins, son nom. Car dans plusieurs cas, la signature ne nous conduit pas loin, à peine plus loin qu’un patronyme. Comme pour son modèle, la chaîne de la mémoire se rompt.
• Si notre monde contemporain a échoué à renouveler le genre du portrait, en deux ou trois dimensions, c’est parce qu’entre-temps, nos conceptions en matière de réalisme et vérité ont changé; déjà au milieu du XIXe siècle, les critiques, les artistes se gaussaient d’une fidélité capable de tuer l’esprit. L’académisme se voulait efficace: il a au mieux réussi à produire des œuvres documentaires.
• La célébrité est mieux entretenue par l’œuvre. C’est ce que disait le poète: Horace dans son Ode, l’a affirmé dans son écrit si célèbre:
J’ai achevé un monument plus durable que l’airain.
On ne manquera pas de comparer dans notre exposition l’image et l’œuvre: les maîtres de forges qui nous ont laissé leur buste ne sont-ils pas mieux (re) connus par leur entreprise? Leur nom n’est-il pas mieux préservé par la signature dans le métal. C’est la vieille image de l’arbre que l’on juge à ses fruits. Le buste ici est la condensation sur une image – ici un buste — d’une vie, d’une ambition, d’une œuvre.
Contempler un buste, c’est méditer sur l’oubli qui a effacé le fruit d’années d’efforts pour se faire un nom, pour être reconnu après avoir été connu. Sic transit gloria mundi…
Dominique Perchet