Le Brésil, un cas atypique dans son émancipation et dans ses emblèmes nationaux

Le Brésil, un cas atypique dans son émancipation et dans ses emblèmes nationaux par rapport au reste de l’Amérique latine   Bernard Richard 

Bernard Richard nous communique un article non encore publié que nous vous proposons de découvrir en avant-première.

Le Brésil et ses emblèmes

Tardive et en partie influencée par la Troisième République française, l’emblématique politique brésilienne est un cas à part en Amérique latine, tout comme l’est son processus d’accession à l’indépendance (7 septembre 1822) puis, après des décennies, au régime républicain (15 novembre 1889). On a parlé d’un « processus insolite d’émancipation », d’une « émancipation atypique ». Les emblèmes de l’Etat vont être modifiés très progressivement, en plusieurs étapes et surtout sans tabula rasa, chaque nouvelle étape retenant une partie de la précédente, depuis la colonie portugaise jusqu’à la République : oripeaux de la colonie sous l’Empire indépendant, puis oripeaux de l’Empire  sous la République.  Au début des années 1820, le régent et prince héritier Dom Pedro de Alcântara, fils du roi du Portugal João VI retourné quant à lui dans la métropole en juillet 1821 (il s’était réfugié au Brésil depuis 1807, pour échapper à l’invasion napoléonienne), s’était attaché à son nouveau pays et refusa de rentrer ; le 9 janvier 1822 il répondit résolument à la demande du roi et des cortes portugaises qui exigeaient son retour à Lisbonne : « Fico » (« Je reste »). Et lorsqu’il apprit au bord du fleuve Ipiranga, au sud de São Paulo, que les cortes avaient décidé mettre fin à ses pouvoirs de régent au Brésil, il lança, le 7 septembre 1822, son célèbre « grito de Ipiranga », cri de l’Iripanga : « l’indépendance ou la mort ».Le 1er décembre 1822, il fut couronné empereur du Brésil sous le nom de Pedro Ier. Le royaume du Brésil (partie du Portugal) se transforma ainsi en Empire. L’indépendance est donc unie à l’idée impériale, avec cet Empire se séparant de son ancienne métropole (ce que celle-ci reconnaît en 1825) mais conservant un prince de la famille royale portugaise, un Bourbon-Bragance.

La République a été proclamée grâce à un coup de main essentiellement militaire chassant l’empereur Pedro II dans la nuit du 14 au 15 novembre 1889 – les historiens brésiliens parlent du « golpe militar ». Cette instauration est le résultat d’un mouvement composite et peu démocratique formé de militaires désireux de sauvegarder leur place dans l’État alliés à d’autres militaires, plus jeunes et formés aux idées modernisatrices mais autoritaristes d’Auguste Comte, et de civils aux volontés disparates, des républicains démocrates à Rio de Janeiro, plutôt jacobins, mais aussi une oligarchie de grands planteurs de café de l’État de São Paulo et d’éleveurs du Minas Gerais (ce sera, de 1889 à 1930 la « République café au lait », « café com leite » dira-t-on), hostiles à l’abolition de l’esclavage engagée par l’empereur dès 1871 et achevée en 1888.  Le Brésil n’a pas de vrai héros, de père-fondateur à glorifier puis à statufier, à la différence de bien d’autres nouveaux États d’Amérique pouvant célébrer simultanément leur République et leur Indépendance autour de Washington, Bolivar, O’Higgins, Artigas, Sucre, etc. Les deux principaux acteurs de l’instauration de la République sont le maréchal Manuel Deodoro da Fonseca, vétéran de la guerre du Paraguay (1864-70) et chef d’état-major de l’Armée, surtout soucieux du maintien de la position forte acquise par l’armée grâce à la guerre victorieuse contre le Paraguay, et Benjamin Constant Benjamin Botelho de Magalhães (appelé en abrégé Benjamin Constant), directeur de l’Académie militaire brésilienne (depuis 1872) et fondateur (en 1876) de la Société Positiviste du Brésil, introducteur de la pensée d’Auguste Comte au Brésil, républicain mais guère démocrate ni libéral ; ils avait été les cofondateurs en 1883 du Clube Militar, sans bien s’entendre sur leurs buts politiques.

Certes le matin du 15 novembre, une foule républicaine rassemblée à Rio de Janeiro chante la Marseillaise, hymne national français et en l’occurrence, plus encore hymne universel à la Liberté mais pour l’essentiel, ce nouveau régime est ce qu’un historien brésilien appelle « la République sans peuple » (avec un étroit suffrage censitaire), Deodoro da Fonseca devenant le premier président de la « République des États-Unis du Brésil ».  Quand la République s’impose, donc en novembre 1889, chassant Pedro II, le second empereur, quels symboles choisir pour remplacer des symboles dynastiques de l’Empire brésilien, drapeau, hymne national, couronne fermée d’empereur, image très présente de l’empereur régnant (dans la statuaire, la peinture officielle, les sceaux, la monnaie, les timbres postaux, etc.) ?  Décrivons tout d’abord les drapeaux successifs du Brésil indépendant, impérial puis républicain. Le drapeau impérial fut dessiné en 1822 par le peintre d’histoire Jean-Baptiste Debret, neveu et élève de David et membre de la Missão Artistica Francesa arrivée à Rio en 1816 pour fuir la France royaliste après Waterloo.

Parmi les propositions de J. B. Debret, l’une fut retenue : un rectangle vert (couleur des Bourbon-Bragance) au centre duquel figure un losange jaune (couleur des Habsbourg, de la Maison d’Autriche, pour l’archiduchesse Léopoldine, épouse du prince héritier puis empereur sous le nom de Pedro Ier), le losange venant, dira-t-on dès alors, de la forme souvent adoptée pour le blanc central par des drapeaux de régiments napoléoniens. S’y ajoute au centre du losange le complexe blason impérial, essentiellement vert et bleu à la Croix (rouge) de l’ordre du Christ, à l’esquisse de la sphère « armillaire », céleste, avec en outre l’anneau bleu des vingt provinces, le tout sommé d’une couronne « fermée », impériale et entouré de branches de tabac et de caféier de part et d’autre du blason, pour figurer les productions propres au pays, selon une pratique que l’on retrouve dans bien d’autres nouveaux États latino-américains. Croix de l’ordre du Christ, portugais, et sphère armillaire représentant le ciel à Rio étaient déjà des symboles utilisés dans le Brésil colonial. Par exemple la sphère armillaire figurait déjà sur l’étendard du Principado do Brasil datant de 1645.  (lire la suite en téléchargeant le pdf  Le Brésil et ses emblèmes )

Bibliographie  Une source essentielle a été fournie par diverses communications présentées en 2009 au 1er séminaire organisé à Buenos Aires du 11 au 13 novembre 2009 par María Teresa Espantoso Rodríguez et Carolina Vanegas Carrasco sur le thème d’« Art public et espace urbain, relations, interactions, réflexions ».

[divider]Les actes de ce séminaire ont été publiés sous la forme d’un CD Rom édité à Buenos Aires en 2010 par le GEAP, Grupo de estudio sobre arte público en Latinoamérica, Instituto de Teoría e Historia del Arte « Julio E. Payró ». Il s’agit d’une publication regroupant en particulier des chercheurs latino-américains attentifs aux monuments érigés à l’occasion du premier centenaire de l’Indépendance dans plusieurs pays de la région (Première section du séminaire intitulée «  Alcances del arte público en las celebraciones del primer centenario de las independencias en territorio latinoamericano).

Ont été particulièrement utiles la communication de José Francisco Alves, « Marianne em Porto Alegre : A Alegoría da República ao ar livre (1899-1923) », celles de Paulo Knauss, « A Fest imagem. A afirmação da escultura pública no Brasil do século XIX », d’Adriana Toledo de Almeida, « Mi Tierra es… dificíl de entender. El Monumento a la Independencia de Ettore Ximenes y los escritos de Mário de Andrade » et « O Monumento público ao herói. Significado estético e memória em um estudo de caso » d’Almerinda da Silva Lopes (à propos du monument à Domingos Martins à Vitória).

Nous nous sommes appuyés également sur deux travaux récents d’Yves Saint-Geours, docteur en histoire et ambassadeur de France à Brasilia (Brésil et France, deux Républiques et leurs symboles, Éd. AFCI, Paris, 2010, plaquette illustrée bilingue) et de Joseph Jurt, professeur aux universités de Saint-Gall et de Bâle (article à paraître sur les symboles nationaux du Brésil, qui s’appuie lui-même en particulier sur le classique José Murilo de Carvalho, A Formação das almas : o imaginário na República do Brasil, São Paulo, Companhia das Letras, 1990).

Sont utilisées aussi les comparaisons que nous effectuons avec les autres républiques latino-américaines, dans le cadre d’une prochaine publication encore en préparation, Marianne en Amérique. L’emblématique républicaine en Amérique du Nord et du Sud.  Paris, juin 2012

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