Revue de web Le patrimoine industriel de l’U4 au service de la “Fensch vallée”

Publié le 13/10/2016
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Michaël Picon est Géomètre de formation, diplômé de l’ESGT et du CNAM. Par goût pour la discipline et après un mémoire de recherche en Géographie de l’industrie, il est devenu doctorant en Géographie au laboratoire Loterr.  Sa recherche porte actuellement sur le redéveloppement territorial des anciennes vallées sidérurgiques du Nord Lorrain appuyé par l’observation d’exemples ouest-européens. Pour The Conversation France, Michaël Picon aborde la question du patrimoine industriel comme levier culturel du développement territorial.

Alors que les luttes sociales ne cessent de croître dans le pays, les vestiges des vieilles luttes ouvrières peuvent participer à la renaissance de nos territoires. En Lorraine, le célèbre U4 d’Uckange, l’ultime haut-fourneau de la vallée de la Fensch, est à la fois un patrimoine précieux, un site touristique et une œuvre d’art. Pour marquer la fin des grandes luttes sociales qui agitèrent la sidérurgie lorraine des années 1970 aux années 1990, Bernard Lavilliers chantait la « Fensch Vallée » sous le regard orphelin des sidérurgistes d’Uckange.

Ce patrimoine sidérurgique peut être utilisé comme levier culturel du développement territorial, comme le fut la création du musée Guggenheim à Bilbao, dans la vallée basque du Nervión. « L’effet Bilbao » ne doit cependant pas être exagéré. Pour qu’un tel levier soit efficace, il faut en effet qu’il soit intégré à un projet cohérent.

Incrédulité, deuil et action

Si l’ancienne région Lorraine fut un temps considérée comme le « Texas français », en grande partie grâce à sa sidérurgie, que reste-t-il des hauts-fourneaux ? Il n’en existe plus un seul actif en Lorraine, les aciéries et les laminoirs se font rares. Quelques aciéries, comme l’aciérie électrique de la SAM à Neuves-Maisons ou l’usine Ascométal à Hagondange, subsistent encore. Mais le patrimoine productif a presque intégralement disparu, à l’exception de quelques objets exceptionnels.

En réalité, le patrimoine qui a le mieux survécu au déclin de la sidérurgie est le seul qui est toujours fonctionnel : les ensembles de cités ouvrières. Ces destructions massives du patrimoine productif s’expliquent assez facilement par le choc de la désindustrialisation.

D’après le sociologue Michel Grosetti, trois phases sociales suivent la désindustrialisation : l’incrédulité, le deuil et l’action. Celles-ci s’entrelacent, se chevauchent parfois. Bien que sociales, ces phases se cristallisent également dans l’espace.

Tabula rasa

Après la crise sidérurgique, l’incrédulité laisse donc rapidement place au deuil. Celui-ci est social, économique et culturel puisqu’avec la chute de la sidérurgie, les tissus urbains, économiques et sociaux des villes-usines s’étiolent. Dans l’espace, cette phase est matérialisée par les béances paysagères que sont les friches industrielles.

La friche des anciens hauts-fourneaux De Wendel à Jœuf. Michaël Picon (2014)

Lors de cette phase de deuil, les actions sont des actions d’urgence, souvent peu réfléchies. On détruit donc la plupart des anciennes usines dans les vallées de l’Orne, de la Fensch, de la Chiers, de l’Alzette… La majorité des friches sont verdies (la politique traditionnelle de la DATAR dans les années 1980 – 1990 consiste à dépolluer les friches et à y planter des arbres) et occupées par des zones industrielles devenant plus tard des zones d’activités (plus tournées vers le secteur tertiaire).

La reconversion est alors systématiquement inefficace ou peu efficace. Elle ne relance pas l’économie, elle ne recrée pas d’emplois, elle efface le passé et l’identité industrielle du territoire.

Des reconversions réussies

Pourtant, sous l’impulsion de leaders charismatiques, certaines reconversions se singularisent. À Amnéville, le docteur Kiffer, maire-monarque controversé de la ville, métamorphose l’ancien complexe sidérurgique et son crassier en vaste complexe touristique (golf, thermes, zoo, parc d’attractions, etc.). La perte des emplois industriels est même intégralement compensée par la création d’emplois touristiques.

L’ancien crassier d’Amnéville reconverti en centre de loisirs. Office du tourisme d’Amnéville (1999)

Une autre reconversion locale fonctionne bien, le cas de l’U4 à Uckange, ultime haut-fourneau de la Fensch, qui accueille en ce moment plus de 30 000 visiteurs par an. Le projet est essentiellement né de la volonté d’une association, l’association Mécilor, portée pendant 25 ans par Bernard Collot, un ancien ingénieur sidérurgiste.

Celui-ci a ensuite pris de l’ampleur sous l’impulsion des élus locaux. De nombreux projets se sont attachés à cette cathédrale d’acier. Le haut-fourneau est d’abord un objet patrimonial que l’on peut visiter. C’est aussi un objet d’art, mis en lumière par Claude Lévêque. Autour de cet objet artistique et patrimonial, des projets culturels sont mis en œuvre chaque année (expositions, performances artistiques, etc.).

Tous ces éléments font évidemment d’U4 un site touristique. On peut y ajouter le Jardin des Traces, lieu de promenades agréables. Le défaut de cette reconversion est celui de la plupart des « bonnes » reconversions précoces. Le projet se fait à l’échelle du site industriel alors qu’il devrait s’étendre à une échelle bien plus vaste, à l’échelle de l’ancien territoire industriel : c’est-à-dire a minima à l’ancienne ville-usine d’Uckange.

Le redéveloppement du territoire

En effet, pour redévelopper les anciens territoires industriels que sont les vallées sidérurgiques, il faudrait agir à l’échelle du territoire complet. Il faut donc fédérer les acteurs autour de projets de territoire. Ceux-ci servent d’abord à redonner de l’urbanité aux villes percées de béances paysagères, on parle alors de recomposition urbaine. Ceux-ci cherchent aussi à diversifier et à redynamiser l’économie locale.

Le patrimoine industriel peut et doit être utilisé comme « un levier d’action stratégique » selon le chercheur lorrain Lucas Del Biondo. Il permet de soutenir la guérison urbaine, économique et sociale du territoire en fédérant celui-ci autour d’un projet emblématique et en attirant de nouveaux acteurs socio-économiques.

C’est ce que tente de réaliser le projet évol’U4 en accord avec d’autres projets de territoire visant essentiellement à redynamiser l’économie locale (Europort et Terra Lorraine). Cependant, leur mise en œuvre est économiquement et politiquement difficile. Le projet Terra Lorraine a avorté officiellement, faute d’investisseurs sérieux, en décembre 2015. En réalité, le projet était déjà tombé à l’eau avant cette annonce. Mais pour éviter un échec aux élections régionales face au FN menaçant, les élus responsables du projet avaient retardé l’annonce de son échec.

« De l’art ou du cochon », le FN dans la Fensch

En effet, la menace politique représentée par le Front national, déjà implanté à Hayange semble jouer un rôle dans la communication autour de ces projets sensibles. La gestion singulière de la commune d’Hayange par le parti d’extrême droite (sculpture repeinte en bleu sans l’accord de l’artiste, soupe populaire au lard discriminante) ne suffit pas à rassurer les élus locaux.

Ils agissent donc avec cautèle et la communication autour du projet Europort est plutôt limitée pour le moment, et il est difficile de connaître l’état d’avancement réel du projet en contactant les responsables alors que celui-ci a été initié avant Terra Lorraine. Les études préliminaires sont achevées. D’après le rapport d’activité 2014 d’Europort, elles ont été financées par des investisseurs publics uniquement (allant de l’Europe au département).

Il semble donc que les responsables d’Europort soient actuellement à la recherche d’investisseurs pour la phase opérationnelle du projet – une recherche difficile, notamment en ce qui concerne les investisseurs privés ou étrangers comme l’a démontré l’échec du projet Terra Lorraine. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils soient devenus obsolètes.

En réalité, le territoire semble prendre la bonne direction et il bénéficie d’atouts de localisation non négligeables.

Un territoire fragilisé en voie de redéveloppement

Les stigmates de la crise de la sidérurgie sont encore présents dans l’espace, dans l’économie et dans le tissu social de la Fensch. Les cadres y sont peu nombreux, les chômeurs sont plus nombreux qu’ailleurs, mais les revenus des ménages, bien que plus bas que la moyenne nationale, augmentent depuis 2001.

D’après une étude de l’Insee, le territoire est peu attractif pour les cadres, notamment pour les cadres frontaliers. Or, la plus grande force actuelle du territoire Fenschois, c’est sa proximité avec le Luxembourg. En effet, plus d’un quart des actifs locaux travaillaient à l’étranger en 2011 et d’après le recensement de l’Insee 2013 (publié le 30 juin dernier), 29 % des habitants du Val de Fensch travaillent en dehors de France métropolitaine.

Il faut donc augmenter l’attractivité de ce territoire pour les cadres. Si les grands projets de territoire (Evol’U4, Europort) ne capotent pas, s’ils sont bien appuyés et fédérés par le levier stratégique qu’est le haut-fourneau d’Uckange, le redéveloppement du territoire du val de Fensch sera possible. On pourra alors faire de l’agencement complexe de ses faiblesses une structure solide et démontrer ainsi que les anciennes vallées sidérurgiques ne sont pas des territoires perdus.

Michaël Picon, Doctorant en Géographie, Université de Lorraine

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