Le fer et la statuaire de fer vus par Pline l’Ancien

Pline l’Ancien (23-79) aborde dans son Histoire naturelle la métallurgie du fer.

A titre documentaire, nous vous proposons ce texte  à ne pas prendre au pied de la lettre. Mais on y parle statuaire de fer !

XXXIX. Maintenant nous avons à parler des mines de fer, pour l’homme l’instrument le meilleur et le pire. C’est avec le fer que nous labourons la terre, que nous plantons les arbres, que nous taillons les hautains (126), que nous dressons les vergers, que nous forçons tous les ans la vigne à se rajeunir en retranchant les branches décrépites; c’est avec le fer que nous bâtissons les maisons, que nous taillons les pierres, et tant d’autres services que nous en retirons. Mais c’est aussi le fer qu’on emploie pour la guerre, pour le meurtre et le brigandage, non seulement de près, mais encore lancé de loin et volant dans les airs, mu, soit par les machines, soit par le bras, et souvent même empenné. C’est là, suivant moi, de tous les méfaits de l’esprit humain le plus criminel.

[2] Quoi! pour que la mort parvint plus rapidement à l’homme, nous lui avons donné des ailes, et nous avons fait voler le fer ! Qu’ainsi le mal qu’il produit ne soit pas imputé à la nature; et quelques faits ont prouvé que le fer pouvait ne servir qu’à des usages innocents. Dans lé traité que Porsenna accorda au peuple romain après l’expulsion des rois, nous trouvons la clause expresse que les Romains n’emploieront (127) le fer que pour la culture des champs. De très anciens auteurs (128) disent que les stylets de fer pour l’écriture étaient regardés comme dangereux. Nous avons du grand Pompée, dans son troisième consulat, un édit qui, à propos du tumulte causé par la mort de Clodius, défend qu’il y ait aucune arme dans Rome.

XL. [1] Cependant, grâce à l’industrie humaine, des usages plus doux n’ont pas manqué au fer. L’artiste Aristonidas, voulant exprimer sur Athamas le repentir succédant à la fureur après qu’il a précipité son fils Léarque, mêla le cuivre et le fer, afin que la rougeur de la confusion fût rendue par la rouille qui se distinguait à travers l’éclat du cuivre : cette statue existe aujourd’hui encore à Thèbes (129). On a dans la même ville un Hercule de fer, oeuvre d’Alcon, conduit à employer ce métal par la patience du dieu dans les travaux. Nous voyons aussi à Rome des coupes de fer consacrées dans le temple de Mars Vengeur. Autant la nature s’est montrée bonne en limitant la puissance du fer, qu’elle punit par la rouille, autant elle s’est montrée prévoyante en ne mettant (130) entre les mains de l’homme que ce qu’il y a de plus funeste à l’humanité.
XLI. [1] Les mines de fer se trouvent presque partout; l’île même d’llva ( Elbe), sur la côte d’Italie, en produit. Les terres ferrugineuses se reconnaissent (131) sans difficulté à leur couleur. Le minerai (132) se traite de la même manière que celui de cuivre:, seulement, en Cappadoce, on se demande s’il est un présent de l’eau ou de la terre; car ce n’est qu’arrosé avec l’eau d’un certain fleuve, que le minerai donne du fer dans les fourneaux.

[2] Les variétés de fer sont nombreuses. La première cause en est dans les différences du sol ou du climat. Certaines terres ne donnent qu’un fer mou, et approchant du plomb (133); d’autres, un fer cassant et cuivreux, détestable pour les roues et les clous, auxquels le fer mou convient; un autre n’est bon qu’en petits morceaux : on l’emploie pour les clous des bottines ; un autre est très sujet à la rouille. Tous ces fers s’appellent strictures (gueuses), terme dont on ne se sert pas pour les autres métaux, et qui vient de stringere aciem (tirer l’acier, fer forgé ).

[3] Les fourneaux aussi établissent une grande différence (134): on y obtient un certain noyau de fer servant à fabriquer l’acier dur, ou, d’une autre façon, les enclumes compactes et les têtes de marteau. Mais la différence la plus grande provient de l’eau dans laquelle on plonge le fer incandescent : cette eau, dont la bonté varie suivant les lieux, a rendu fameuses pour la fabrication du fer certaines localités, telles que Bilbilis (135) et Turiasson en Espagne, et Côme en ltalie, bien que ces endroits n’aient pas de mines de fer. Mais de tous les fers la palme est à celui de la Sérique, qui nous l’envoie avec ses étoffes et ses pelleteries.

[4] Le second rang appartient à celui des Parthes. Ce sont les seuls fers où il n’entre que de l’acier.; tous les autres sont mélangés d’un fer plus mou. Dans l’empire romain, en certains endroits, le filon donne du fer de cette qualité, comme en Norique; c’est le procédé de fabrication en d’autres, comme à Sulmone ; c’est la qualité de l’eau dans les lieux que nous avons cités plus haut (136). Il est aussi à observer que pour aiguiser il vaut mieux arroser la pierre avec de l’huile qu’avec de l’eau : l’huile rend le tranchant plus fin. Chose singulière ! dans la calcination du minerai, le fer devient liquide comme de l’eau, et, par le refroidissement, il devient spongieux. On est dans l’habitude d’éteindre dans l’huile les menus fragments de fer, de peur que l’eau ne les rende durs et cassants. Le sang humain se venge du fer, qui, lorsqu’il en a été mouillé, est plus promptement (137) attaqué par la rouille.

XLII. [1] Nous parlerons en son lieu (XXXVI, 25) de la pierre d’aimant, et de la sympathie qu’elle a pour le fer. Seul, ce métal emprunte à la pierre d’aimant des forces qu’il garde pendant longtemps, devenant capable de saisir un autre morceau de fer; et l’on peut voir retenus de la sorte toute une série d’anneaux. Le vulgaire ignorant appelle fer vif ce fer aimanté. Les blessures en sont plus dangereuses. La pierre d’aimant se trouve aussi dans la Cantabrie : non ce véritable aimant qui est en roches continues, mais un aimant en fragments disséminés qu’on nomme bullations.. Je ne sais si cette espèce est aussi propre à la fusion du verre (XXXVI, 80) ; personne n’en a encore fait l’expérience; toujours est-il qu’elle communique au fer la même force. L’architecte Dinocharès (138) avait entrepris de faire la voûte du temple d’Arsinoé, à Alexandrie, en pierre d’aimant, afin que la statue en fer de cette princesse parût y être suspendue en l’air. La mort de l’architecte et du roi Ptolémée (139), qui,avait ordonné le monument en 1’honneur de sa soeur (VI, 12), empêcha ce projet d’être exécuté.

XLIII. [1] De tous les métaux c’est le fer qui. est en plus grande abondance. Sur la côte de la Cantabrie que baigne l’Océan, il est une montagne très-élevée qui,. chose incroyable, est tout entière de fer; nous en avons parlé en décrivant l’Océan (IV, 34). (XV.) Le fer soumis à l’action du feu se gâte, si on ne le forge au marteau. Rouge, il n’est pas apte à être forgé ; il faut qu’il commence à passer au blanc. Enduit de vinaigre ou d’alun, il devient semblable au cuivre.

[2] On le protège contre la rouille avec la céruse, le gypse et la poix liquide, préparation que les Grecs nomment antipathie. Quelques-uns prétendent qu’il y a en cela quelque cérémonie religieuse, et que dans la ville nommée Zeugma (V, 21), sur l’Euphrate, est une chaîne de fer qu’Alexandre avait employée là à la construction d’un pont (140), et dont les anneaux renouvelés sont attaqués par la rouille, tandis que les anneaux primitifs en sont exempts.

XLIV. [1] Ce n’est pas seulement par son tranchant que le fer fournit des remèdes; en traçant un cercle avec (141) le fer autour des adultes et des enfants, ou en faisant tourner trois fois autour d’eux un instrument pointu, on les protège contre les maléfices. En clouant au seuil des clous arrachés d’un tombeau, on écarte les visions nocturnes. En piquant légèrement avec un fer qui a blessé un homme, on guérit les douleurs subites de côté ou de poitrine qui sont pongitives. Quelques affections sont guéries par la cautérisation avec le fer rouge, en particulier la morsure du chien enragé; et même quand la maladie est établie, quand l’hydrophobie existe, on guérit immédiatement le mal en brûlant la plaie. On échauffe aussi la boisson (142) en y éteignant un fer chauffé à blanc, et cette boisson se prend dans beaucoup d’affections, notamment dans la dysenterie.

XLV. [1] La rouille elle-même est comptée parmi les remèdes; et c’est ainsi, dit-on, qu’Achille (XXV, 19) guérit Télèphe, employant soit une lance d’airain, soit une arme de fer; du moins on le représente détachant la rouille avec son glaive. D’ordinaire on obtient la rouille du fer en raclant de vieux clous avec un fer mouillé. Elle est coagulante, siccative, astringente; en topique, elle guérit les alopécies. On s’en sert avec la cire et l’huile de myrte, pour les granulations des paupières et les pustules de tout le corps; avec le vinaigre, pour le feu sacré; dans des linges, pour la gale et les paronychies et les excroissances des doigts (143). En pessaire, sur de la laine, elle arrête les pertes. Délayée dans du vin et pétrie avec de la myrrhe, on l’applique sur les plaies récentes; avec du vinaigre, sur les condylomes. En topique, elle soulage les goutteux.

XLVI. [1] On emploie aussi l’écaille de fer qu’on tire de l’acier ou des lances tranchantes; elle est très semblable pour l’effet à la rouille, mais plus active: aussi l’administre-t-on contre les fluxions des yeux. Elle arrête le sang, le sang que le fer surtout fait couler; elle guérit les pertes ; on en fait un topique pour les maladies de la rate (144). Elle réprime les hémorroïdes et les ulcères serpigineux ; elle est bonne pour les paupières, qu’on en saupoudre légèrement. Ce qui la recommande le plus, c’est l’emploi qu’on en fait dans l’emplâtre humide, pour mondifier les plaies et les fistules, pour consumer toute callosité, pour réparer les chairs sur les os dénudés (145). En voici la composition : six oboles de poix, deux drachmes de terre cimoliée, deux drachmes de cuivre en poudre, deux drachmes d’écaille de fer, six drachmes de cire, un setier d’huile; on y ajoute du cérat, quand on veut mondifier ou remplir les plaies.

PLINE L’ANCIEN HISTOIRE NATURELLE.
TOME SECOND. LIVRE XXXIV
Traduction française : É. LITTRÉSource Web : http://remacle.org/bloodwolf/erudits/plineancien/index.htm

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