L’Atelier de moulage du Louvre: l’art pour tous

Les chefs d’œuvre de l’Antiquité nous sont essentiellement connus par la copie, antique, d’abord, puis sans cesse reprise jusqu’à nos jours. En effet, la dernière exposition du Louvre consacrée à Praxitèle ne peut offrir au visiteur qu’une seule sculpture, un buste féminin, de la main de l’artiste. Toutes les autres qui nous sont parvenues et qui ont fait la notoriété de leur auteur sont des copies antiques, le plus souvent romaines.


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Buste de Pallas Velletri

Mais l’humanisme de la Renaissance remet l’Antiquité au goût du jour et, de même que les savants se replongent dans les textes grecs et latins, les amateurs d’art se rendent à Rome pour accéder aux œuvres conservées du passé. Dès François Ier, on pratique le moulage en bronze des statues antiques. Le Roi charge le Primatice de faire copier à Rome les plus célèbres de ces statues pour son château de Fontainebleau. Avec Louis XIV se développe la fonction ornementale de la copie de statues en même temps que sa fonction didactique. Il s’agit de former le goût du public au beau, c’est-à-dire à un beau académique, ce qui explique le succès des antiques. Les jardins de Versailles sont peuplés de références à l’Antiquité, qu’il s’agisse d’œuvres originales ou de reprises des mêmes sujets en bronze ou en marbre par artistes contemporains. Ce développement connaîtra une grande expansion au XVIIIe siècle, en raison des découvertes d’une archéologie naissante qui permettent de mettre au jour des œuvres ou des copies antiques d’œuvres de sculpteurs que l’on connaissait par les textes. L’opinion publique se penche sur la recherche des origines de l’homme et les premières découvertes de Pompéi, par exemple, suscitent un enthousiasme identique à celui de Grignon lorsqu’il fouille la colline du Châtelet en Haute-Marne.
Le XVIIIe siècle se lancera dans la copie de ces œuvres célèbres en plâtre, en plomb ou en bronze, mais les entreprises privées qui s’en chargent ne se soucient pas toujours d’exactitude et la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. C’est pourquoi la Révolution crée l’atelier de moulage du Louvre.

Une triple mission
Cet atelier, fondé en 1794, répond à des exigences multiples: un souci de vulgarisation et d’éducation du public, la volonté de fournir aux écoles de dessin, récemment créées, des modèles de bonne qualité, tout en évitant la mise en péril des originaux, et en proposant des modèles qu’on allait même chercher à l’étranger. Enfin, la Révolution voit dans la reproduction, grâce à un matériau peu onéreux, la possibilité de mettre fin aux abus de l’Ancien Régime qui confisque l’œuvre d’art au profit de son seul propriétaire. À ces motifs s’ajoutera par la suite une mission commerciale pour des raisons économiques.
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Cliquez pour agrandir ces planches tirées de l’Encyclopédie de Diderot-d’Alembert

Le moulage connaîtra une vogue grandissante tout au cours du XIXe siècle. L’étude des listes manuscrites de la première moitié du siècle, puis des catalogues de vente publiés à partir de 1864 permet de voir les fluctuations du goût du public et des intentions du pouvoir prescripteur. Bien que l’Antiquité soit le modèle inégalable de perfection des formes et des proportions du corps humain, sa représentation dans les collections varie selon les modes, les goûts et même les volontés politiques. Si l’atelier de moulage du Louvre introduit dès 1818 la statuaire moderne, sous Louis-Philippe, dans le désir de conforter la légitimité du pouvoir, on trouve au catalogue davantage d’antiques. Et si dans la seconde moitié du siècle les antiques se multiplient, les œuvres canoniques sont mises en cause et le catalogue s’ouvre aux civilisations plus exotiques, égyptienne, orientale, suivant en cela l’actualité archéologique. Sous le Second Empire, l’inspiration antique est prédominante, toujours dans un souci de légitimité, mais la diversification s’accélère à la fin du siècle, grâce à la redécouverte du Moyen Âge par les Romantiques, par exemple. Dans le même temps, les modèles appartenant au XIXe siècle se multiplient, permettant finalement aux sculpteurs français tels que Salmson ou Frémiet, par exemple, d’être les plus représentés en 1925.
Fidélité
La technique de reproduction par le moulage pose un certain nombre de problèmes et petit  à petit s’est mise au point une forme de déontologie. Il faut en effet veiller à la conservation des originaux, à celle des moulages, à leur fidélité et enfin à la rentabilité de l’opération.
La définition du moulage renvoie aux techniques décrites par Diderot dans l’Encyclopédie. C’est « l’art de prendre des empreintes, de faire des creux sur des reliefs, et de reproduire les originaux à partir de ces creux ». Les premiers matériaux utilisés ont été l’argile, la cire et surtout le plâtre. Le XIXe siècle a voulu diversifier les techniques et s’est donné pour objectif de ne pas altérer les originaux tout en leur restant fidèle. Pour cela il a essayé par exemple l’association cellulose et papier, le procédé du moulage à la gélatine ou le procédé du staff.
La nécessité de protéger l’original est apparue au milieu du XIXe siècle, avec la prise de conscience de l’unicité de l’œuvre d’art. En effet, il ne faut endommager ni la solidité, ni l’apparence, ni la matière de l’objet à copier. Au cours du démoulage, l’original risque de souffrir des coups portés pour le dégager du moule, il y a aussi des problèmes de gonflement du plâtre et les salissures que peuvent causer les agents démoulants, taches d’huile sur du marbre, altération de la patine du bronze. C’est pourquoi on privilégie la technique du surmoulage, et l’on fait appel à l’habileté des mouleurs et à un examen minutieux des originaux par les conservateurs.
La fidélité à l’original est garantie par l’entretien et le contrôle des moules et dès le Second Empire l’estampille de l’atelier évite la médiocrité des contrefaçons. La conservation des moulages pose aussi divers problèmes, celui de la place, tout d’abord, et par conséquent l’entretien de grands bâtiments. Ensuite, il faut préserver ces lieux de l’humidité, et il faut en assurer la sécurité. C’est pourquoi l’atelier de moulage du Louvre a changé plusieurs fois de place pour s’installer finalement de 1857 à 1928 au Trocadéro.

Artistes artisans
Avec cet atelier de moulage, c’est toute une organisation qui a dû se mettre en place. Pendant les cinq premières années, la direction a été assurée par des artistes qui sélectionnent les œuvres à mouler pour l’enseignement, pour constituer une collection. Puis l’entreprise passe aux mains des mouleurs, ce qui entraîne un certain laxisme dans la gestion. Au cours des années, la mainmise du musée sur l’atelier se fera de plus en plus importante, et en 1849, Barye est nommé conservateur. L’atelier sera ensuite rattaché au conservateur des Antiques par le biais de l’atelier de restauration.
Les mouleurs, sur l’habileté de qui repose la réputation de l’établissement, sont à mi-chemin entre artistes et artisans, leur travail relevant à la fois des beaux-arts et des arts mécaniques. L’un d’entre eux, Arrondelle, revendique l’invention du procédé du staff. Certains ouvriers se partagent les tâches nobles, comme la confection des moules, le coulage des épreuves, les finitions. D’autres sont cantonnés au nettoyage et au rangement. Le milieu est assez favorisé, les salaires sont corrects et il y a de nombreux avantages sociaux: quinze jours de congés payés, une caisse de retraite, une caisse de secours mutuel, un syndicat.
Enfin l’aspect commercial est apparu dès la Restauration. En effet, jusqu’au début du XIXe siècle, les ateliers de moulage étaient privés et les spécialistes étaient surtout des Italiens, installés au Faubourg Saint Antoine. Ils collaboraient souvent avec des sculpteurs ou des fondeurs et se spécialisaient le plus souvent dans un genre, religieux, historique… Le commerce du plâtre était alors très prospère. L’atelier du Louvre se donne pour but de fournir les écoles, les musées et les entreprises privées et de diffuser ses modèles pour résister aux effets néfastes de l’industrialisation dont les produits enlaidissent la vie courante.
Pour cela l’atelier usera de différentes stratégies commerciales: tout d’abord la publicité se fera par des missionnaires (des représentants?), puis par des listes gratuites associées à des tarifs, des catalogues – le premier catalogue illustré datant de 1900 – et par des expositions de modèles. Les prix sont peu élevés, de nombreuses remises sont faites aux collectivités et ce commerce sera profitable à partir de 1854. Mais la première guerre mondiale lui porte un coup fatal.
La clientèle se répartit entre l’enseignement, les musées français et étrangers, les manufactures, les artistes et les particuliers.
Le but premier est pédagogique. Les modèles servent à enseigner le dessin dans les écoles centrales, puis les lycées et les écoles secondaires et dans ce cas ce sont surtout des antiques. Les écoles de dessin, les Beaux-Arts ont besoin de modèles en trois dimensions, on y étudie la bosse, d’abord les abattis, puis la statue reconstituée à partir des antiques les plus célèbres. De leur côté les artistes se constituent des collections de modèles dans leurs ateliers, comme on peut le voir avec celles d’Ingres ou de Gustave Moreau qui ont été conservées. Enfin des écoles d’art appliqué à l’industrie sont créées pour former des ouvriers au beau avec des cours du soir et des écoles professionnelles gratuites, et ces écoles sont elles aussi consommatrices de modèles en plâtre.
Dans les universités, les collections de moulages servent de complément aux cours d’archéologie ou d’histoire de l’art grâce à leur exhaustivité et parce qu’elles permettent d’étudier l’évolution des formes.
Les musées constituent la seconde clientèle importante de l’atelier du Louvre. En effet, au XIXe siècle, le moulage est considéré comme l’incarnation de l’original dont il ne diffère que par la matière. C’est donc une œuvre d’art à part entière qui a toute sa place dans un musée.
Le but premier est didactique. Le moulage permet la connaissance par l’accès direct aux collections où l’on n’hésite pas à associer originaux et moulages. Les artistes peuvent venir y étudier, le public s’y former le goût.
Un autre but est scientifique: le moulage permet de restituer un état disparu de l’original, lorsque celui-ci a été transformé par des restaurations. Le Musée de sculpture comparée est un cours vivant d’histoire de la sculpture.

Grandeur et discrédit
Le musée est aussi un lieu de mémoire pour célébrer les gloires nationales. Il a en effet une fonction nationaliste et a permis par exemple de faire redécouvrir le patrimoine national et de répondre à la revendication des Romantiques demandant la réhabilitation du Moyen Âge.
Enfin l’atelier du Louvre produit dans un but utilitaire. Il propose ses modèles pour la reproduction industrielle, il fournit des surmoulages aux fonderies d’édition et aux manufactures. On sait par exemple que Durenne a conservé à Sommevoire quelques-uns de ses modèles. Les registres de vente de l’atelier du Louvre montrent que les fondeurs des vallées de la Marne et de la Blaise, outre Durenne, ont été de bons clients. Ainsi les noms de Barbezat et du Val d’Osne sont bien représentés. Il en est de même pour Denonvilliers, Ducel qui commanda la Diane de Gabies, Fourment, encore au Val d’Osne. Le moulage permet aussi de remplacer des originaux partis dans les musées, d’illustrer des expositions, de faire des reconstitutions archéologiques et même des recherches scientifiques, à partir de l’étude de masques par exemple. Le musée des Beaux-Arts de Rio de Janeiro est peuplé de plâtres réalisés à partir de statues antiques ou du grand Siècle.
Toutefois, à partir de 1880, se développe le sentiment que le moulage n’est pas un objet d’art. En 1927 les moulages d‘antiques partent dans les réserves du Louvre. L’activité de l’atelier, qui a été absorbé dans l’atelier des musées nationaux, ralentit. Avec la seconde guerre mondiale, les entreprises ferment, l’enseignement voit dans le modèle antique un académisme rigide qui s’oppose à la modernité et l’idée que l’œuvre d’art doit être authentique et unique, pour avoir une valeur issue du poids de son histoire, s’impose. Cependant les nouveaux procédés de reproduction d’œuvres originales se sont multipliés dès le XIXe siècle avec les bronzes, les copies peintes jusqu’aux matériaux modernes tels que la résine ou la pierre reconstituée.
Marie-Josèphe Perchet
Source: L’atelier de moulage du musée du Louvre (1794 – 1928) – Florence Rionnet Édition de la Réunion des musées nationaux, 1996

Voir également le site de la réunion des musées nationaux et les pages consacrées aux moulages tels qu’ils sont vendus en 2007; un historique, des pages sur les techniques sont également présentées.


Ce graphique montre l’évolution des achats de moulage par les fondeurs d’art haut-marnais. il s’agit de tous les achats, même ceux qui ne sont pas des antiques (mais ils sont minoritaires). Parmi les clients de l’atelier de moulage du Louvre, le plus gros client est Barbedienne qui a exploité le fonds du Louvre.
On voit dans la répartition des achats deux périodes de pointe: le début du Second Empire et le début des années soixante. Ensuite, la demande s’étiole, y compris chez les autres fondeurs, comme si la mode en était passée ou que les fonds de modèle étant constitué, les entreprises se trouvaient nanties.

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graphe d’achat des modèles : cliquez sur la vignette pour l’agrandir.

 


Article publié dans la revue Fontes (ASPM numéro 66-67 paru en juillet 2007 : l’article, accompagné de ses illustrations, est disponible auprès de l’ASPM).

 

 

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